Bach J.S.
 
 
 

art
L’un des buts de l’écriture est d’occulter le comparatif et rester en compagnie du seul superlatif. En exclure tes contemporains est une prévention pédagogique à recommander. Soli Deo auribus – aurait pu être ma devise (plagiée de Bach : Soli Deo gloria). Quand ton seul auditeur, interlocuteur muet, est un absolu inexistant, appelé Dieu, tu deviens bon Narcisse : « L’âme de philosophe contemple sa propre contemplation »** - Dante - « L’anima filosofante contempla il suo contemplare medesimo ».
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art
Dans les plus beaux opéras du monde (Mozart, Wagner, Tchaïkovsky), la belle musique rend les paroles superflues (même si elles sont parfois belles en soi, comme chez Tchaïkovsky). Chez les Italiens, entre le son et le sens, il y a un équilibre terrestre, et chez Bach – céleste.
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art
Comme tout art, la musique comporte des ombres ; mais contrairement aux autres, elle les projette à partir de ses propres lumières. En plus, ce n’est qu’en musique qu’on confond si souvent la lumière et l’ombre, puisqu’on l’écoute, les yeux fermés : chez Bach, il y a plus de lumière, et chez Tchaïkovsky, il y a plus d’ombres qu’on ne pense.
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art
La première qualité d’un artiste, c’est le don de maintenir une grande intensité, à travers chaque œuvre et dans toutes ses œuvres. Chez Bach, on trouve tellement de lourdeurs monotones, comme chez Mozart – de légèretés inertielles, ce qui, inévitablement, aboutit à la platitude, mais Beethoven sait, partout, garder sa hauteur d’une intensité inébranlable. Mais, dans les meilleurs de leurs ouvrages, le génie des deux premiers est plus pur, plus noble, plus incompréhensible. Beethoven est un aliment, qui n’est pas irremplaçable, les autres – des excitants uniques.
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art
L’art est traducteur du rêve, et le rêve est à l’opposé de la réalité, qui est la vie. Donc, contrairement à Bach : « Si ton art est de la vie, ta vie sera de l’art » - « Wem die Kunst das Leben ist, dessen Leben ist eine große Kunst » - je dirais : Si ton art est du rêve, ton rêve sera de l’art.
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art
Dans l’art (musical, philosophique, poétique), il y a trois sortes d’intuition, qui peuvent réveiller un génie imprévisible, – l’inconsciente, la profonde, la hautaine. La première famille – Bach, Mozart, Tchékhov ; la deuxième – Kant, Rilke, Valéry ; la troisième – Byron, Hölderlin, Nietzsche. L’homme, c’est-à-dire le maître, n’y est presque pour rien ; c’est une étincelle divine qui illumine leurs œuvres. La conscience, la profondeur, la hauteur, sans intuition, n’aboutissent à la beauté que grâce à la sobre maîtrise de l’homme, avec un talent purement humain et qui ne serait qu’un instrument auxiliaire.
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doute
Que la qualité de nos certitudes ou de nos doutes dépende de la musique, qui s'en dégage, est démontré par l'assurance (sereine ou angoissée) de Mozart et Beethoven et par l'hésitation (religieuse ou honteuse) de Bach et Tchaïkovsky.
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hommes
Dans l'Antiquité, on peut trouver des égaux à Dante, Léonard, Michel-Ange, on n'en trouvera pas à Bach ; c'est la découverte de la musique qui nous rend modernes, au sens non-banal du terme ; que la passion, la souffrance ou l'angoisse puissent servir de thèmes aux plus belles mélodies, auxquelles se réduirait la vie, voilà une idée, qui n'effleure aucune tête antique.
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hommes
La musique est le moins humaniste des arts ; nulle part ailleurs le sublime ne côtoie d'aussi près l'horrible. Comment peut-on croire que « la vraie musique n'exprime que des sentiments et idées humanistes » - Chostakovitch - « настоящая музыка способна выражать только гуманные чувства и идеи » ? Le vrai humanisme est solitaire, immaculé et sacré : Bach - solitude du Dieu humilié et sali, Mozart - solitude du Dieu pur, Beethoven - solitude de l'homme pur se passant de Dieu, Tchaïkovsky - solitude de l'homme, entre la pureté divine et la boue, elle aussi divine. Le vrai humanisme ne quitte pas les têtes et les âmes, pour se traduire en actes ; l'humanisme activiste pouvait visiter jusqu'aux mélomanes des Einsatz-Kommandos et des Troïkas du NKVD.
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hommes
La décadence commence par la domination du sens de l’existence sur la musique de l’essence ; et ceci se produit aussi bien dans la culture que dans les passions et les goûts. La tragédie grecque – l’affirmation du sens ; Bach – l’équilibre entre le sens et la musique ; Mozart et Beethoven – la domination de la musique ; Wagner – le retour vers le sens. Le sens incontrôlable étouffe nos fibres divines et se dévoue aux fils robotiques.
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ironie
La musique la plus pure fut écrite par deux sales personnages, Mozart et Tchaïkovsky ; la musique la plus optimiste et fraternelle - par ce sinistre misanthrope de Beethoven ; la musique la plus noble et divine - par ce petit-bourgeois et grenouille de bénitier, Bach. Et l'accord entre le personnage et son œuvre annonce, si souvent, une médiocrité. À comparer avec l'homme Nietzsche : ce minable petit-bourgeois, respectueux des titres, grades et fortunes, guettant des signes de reconnaissance ou d'admiration de la part de n'importe quelle canaille - c'est parmi les petits-bourgeois que se recrutent des adorateurs du surhomme.
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ironie
Bach écrivait, presque exclusivement, pour les insomniaques qui traînent dans la nuit leurs agacements du jour. Exceptionnellement, il s’adressa aussi à ceux qui, dégoûtés de leurs veilles comiques, attendent un rêve, enthousiasmant et tragique. Résultats – une réussite grégaire ou un noble échec ; les uns bâillent, les autres pleurent.
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noblesse
On ne peut pas préférer, en toute circonstance, l'immobilité au mouvement, ou vice versa : il y a musique de l'être et musique du devenir ; la puissance ou la beauté de l'une se répercute systématiquement sur l'harmonie ou le ton de l'autre ; comme le Bach de l'être, le Beethoven du devenir ou le Mozart des deux - sont complets, tous les trois, dans leurs éléments.
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noblesse
Une découverte qu’on fait, malheureusement, trop tard : l’âme ne se réduit ni aux yeux ni aux oreilles ni à l’esprit. Ce n’est que lorsqu’on l’a découvert, qu’on peut envisager d’être un artiste. « J’eus l’impression de ne posséder, n’avoir besoin ni des oreilles, ni toutefois des yeux ou autres sens »* - Bach - « Es war mir, als wenn ich weder Ohren, am wenigsten Augen und weiter keine übrigen Sinne besäße noch brauchte ».
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proximité
De tous les regards sur le Christ, celui qui paraît être le plus sincère est le regard plein de pitié – Bach ou Tolstoï.
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proximité
Bach humanise le divin, Mozart divinise l’humain, mais Beethoven a la même répugnance pour Dieu et pour l’homme, l’éloignement de l’Un et de l’autre – la barbarie. Sublime, mais barbarie tout de même. Depuis Apologie de la Barbarie de Cioran, ce genre abjecte est définitivement compromis ; j’en convainquis un autre habitant de la rue de l’Odéon, qui envisageait une Apologie de l’Union Soviétique.
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proximité
Dans la musique, la beauté (Mozart) se substitue à Dieu, la grandeur (Beethoven) Le rend inutile, la passion (Bach) en traduit la noblesse. « La vénération, dans la musique, témoigne de l’omniprésence de la grâce divine »* - Bach - « Bei einer andächtigen Musik ist allezeit Gott mit seiner Gnaden Gegenwart ».
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proximité
Chez Bach - aucune trace d’un Dieu tout-puissant, je n’entends qu’un hymne à la solitude humaine. L’omniscience divine est incompatible avec la musique de Mozart, il crée une divinité de l’émotion pure. En fin de compte, la tonalité sûre et triomphante de Beethoven est plus proche des croyances populaires en Dieu tonnant et rassurant.
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russie
L'enfance façonne plus profondément nos fibres que nos vocables ; aucun problème pour trouver, chez d'autres tribus, des égaux de Pouchkine, Tolstoï ou Pasternak, mais, contrairement à l'écoute de Bach, Mozart ou Beethoven, je n'éprouve nul besoin de chercher la raison, jamais suffisante, du frisson qui me vient d'un morceau de Tchaïkovsky, Rachmaninov ou Prokofiev.
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russie
En fouillant dans mes souvenirs russes, je trouve ceci : l'homme, qui me fit aimer Bach et Haendel, un académicien, qui avait connu Einstein et créé la topologie moderne ; l'homme, un Vénézuélien, qui m'apprit l'espagnol, devint terroriste, ennemi numéro un en Europe, embastillé, en perpétuité, depuis un quart de siècle ; l'homme du Parti, qui, pendant des années, me poursuivit de sa hargne, à cause de mes liens européens, est aujourd'hui recteur de l' Université Lomonossov, mon alma mater.
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solitude
Nos dépouilles sont portées, en terre ou à la crémation, accompagnées de cette morne musique de Chopin, de ce musicien dont le romantisme est démuni de toute note tragique ; cette musique est juste bonne pour un marchand en train de rêvasser, devant la cheminée, tout en épluchant ses factures. Même les membres du Politburo avaient un meilleur goût, en préférant la Pathétique pour leurs dernières pompes. Bach est romantique, puisque sa musique fait vivre une joie tragique d'un homme solitaire, dont la larme coule vers l'intérieur (avec Mozart, elle s'élève, avec Beethoven, elle s'amplifie, avec Tchaïkovsky, elle s'intensifie) ; Chopin ne l'est pas, puisque les larmes des dames, dans un salon parisien, se sèchent vite au mouchoir parfumé.
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solitude
Placer ma voix dans des ruines est une astuce pour éviter l'incrustation d'un public dans mes acoustiques. L'intensité des récits modernes naît dans des salles. Je n'entends qu'une seule voix d'aujourd'hui, que Bach aurait pu mettre en musique - la voix de Cioran (R.Debray l'entendit dans la voix de Benjamin) Le culte avant-gardiste de la modernité ne vénère que les saisons et les gagnants, - pire ! - que les dates et les chiffres. Les meilleurs écrivains restituent le climat, que ressentent même les arrière-gardistes, les vaincus.
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solitude
Des notes solitaires, c’est ce qui manque le plus à la musique shakespearienne et ce qui ne permet pas de considérer son art comme une perfection. Ils sont rares, ceux qui émettent ces notes : Bach, Pascal, Byron, Leopardi, Nietzsche, Tchékhov.
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souffrance
Sangloter, en me relisant, dans ce mélange obscur de fierté, d'humilité, de grandeur, de désespoir et de communion avec le dessein divin ; cent fois j'ai vécu cette bizarrerie larmoyante et irrésistible, que seul Nietzsche connut, en revisitant son Zarathoustra, et qu'auraient pu connaître Bach et Mozart, s'ils étaient moins casaniers ou moins bêtes.
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souffrance
Les plus beaux morceaux de musique servent surtout à rehausser nos malheurs. « Bach et Beethoven érigèrent des temples, dans la hauteur ; je n'ai cherché qu'à bâtir des demeures, dans lesquelles les hommes, heureux, se sentiraient chez eux » - Grieg. La hauteur est la demeure des meilleurs, des exilés, des inconsolés, de ceux qui tendent au bonheur - à travers la souffrance (durch Leiden… - Beethoven, zum Leiden bin ich auserkoren - Mozart).
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souffrance
Le Commencement d’un rêve (qui n’est pas Verbal) et la Fin d’une vie sont les moments les plus intenses. Je place la caresse (l’espérance) dans le premier ; la seconde (le désespoir) est résumée par ce gémissement évangélique, qui ne sonne tragiquement qu’en allemand : Es ist vollbracht (Bach y apporta un effet musical insurpassable).
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souffrance
Si le bon Dieu et le diable se réfugient dans les détails du parcours, l’Ange, lui, inspire l’essence des commencements, la musique sans finalités, la mélancolie ou la tragédie d’une sainte solitude. « Toute la musique de Bach est une tragédie angélique » - Cioran. La mélancolie est de Mozart.
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Bach J.S.