| action | | | Les uns cherchent des buts pour valoriser les choses, les autres - des moyens pour qu'elles bougent, moi, je cherche la contrainte, qui les laisserait sans prix ou invariantes. L'extase ou l'homéostase. Les contraintes, c'est la faiblesse créatrice, face à la force destructrice. « La faiblesse qui conserve vaut mieux que la force qui détruit » - J.Joubert. | | | | |
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| action | | | Les plus belles des idées conduisirent les hommes aux pires des actes ; le noyau noble des idées est fait d'images musicales, et leur seule expression authentique doit être confiée à l'âme d'artiste et non pas aux muscles d'artisan. « Les idées claires servent à parler ; mais c'est par quelques idées confuses que nous agissons » - J.Joubert – l'artiste parle, en poursuivant des images et non pas des idées, que celles-ci soient claires ou obscures ; les idées sont aprioriques, pour l'artisan, et apostérioriques – pour l'artiste. | | | | |
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| action | | | Mon regard doit être à moi, il est ce qui m'exprime mieux que mon action, qui, strictement parlant, ne m'appartient pas. « Chacun ne peut voir qu'à sa lampe ; mais il peut marcher ou agir à la lumière d'autrui » - J.Joubert. | | | | |
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| amour | | | Les philosophes, obsédés par des chimères, comme la vérité ou le savoir et dont ils ignorent les charmes, deviennent vite raseurs. Mais il ne serait pas juste de penser que les « affections philosophiques dessèchent notre capacité d’aimer » - J.Joubert – puisque le bon philosophe porte ses affections aux choses inconnues, invisibles ou même inexistantes, ce qui ne fait qu’apporter du bon mystère à l’amour. | | | | |
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| amour | | | La passion sans sommeil réparateur peut devenir mécanique ; mais si « la tendresse est le repos de la passion » - J.Joubert – ses rêves sont des caresses. | | | | |
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| saint exupéry a. | | | Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction. | | | | |
| | amour | | | Ce qui revient au même. Aimer, c'est se retrouver, sans échelle ni marches, à la même hauteur. D'autres - Camus et Aragon - croient même qu'aimer c'est vieillir ou dormir ensemble. Moins les regards lointains se croisent, plus épais et enivrant est le mystère de l'attraction. Le mirage de l'absence - se regarder à travers une soif. Avec l'amour, c'est comme avec l'esprit : « La direction de notre esprit est plus importante que ses progrès »** - J.Joubert. | | | | |
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| art | | | Je reconnais ma faute musicale : avec des cordes en permanence tendues, on risque de ne plus être en accord avec l'harmonie de la vie. Comme J.Joubert, je ne joue que de la harpe éolienne. Il faut savoir détendre ce qui vibrerait faux, mais je désappris à tendre l'oreille aux sons directeurs de l'époque. | | | | |
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| art | | | Préférer l'étincelle à l'éclairage public, la perle – aux colliers, l'inspiration – à la respiration -, telle est la pose poétique : danser, ne pas s'abaisser jusqu'à la marche, chanter, sans tomber dans le récit, rompre, plutôt qu'enchaîner. « Le poète ne doit pas traverser au pas un intervalle qu'il peut franchir d'un saut » - J.Joubert. | | | | |
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| art | | | Entre J.Joubert et Valéry, la rhétorique française n'existe pas. D'où, au XIX-ème siècle, le pullulement des herménautes parasitaires. Translatio studiorum ou studium translationem (la noétique, la Wirkungsgeschichte ou la médiologie) | | | | |
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| art | | | L'écriture persuade d'une chose : aucune autre agitation de l'esprit ne vaut celle qui naît au bout de ta plume. Et elle rend le bête encore plus bête, et le délicat encore plus délicat. Sans l'écriture, on glisse imperceptiblement vers l'état de robot ou de mouton. « On se ruine l'esprit à trop écrire. On le rouille à n'écrire pas » - J.Joubert. | | | | |
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| art | | | Héraclite se serait moqué des dialogues socrato-platoniciens ; J.Joubert arrachait les pages discursives de tous les livres, y compris de ceux de son ami Chateaubriand ; Nietzsche riait des pâles chinoiseries kantiennes ; Valéry baillait sur les marquises de Proust ou sur les cinq heures de Bergson. La philosophie est une matière littéraire ; la littérature ne vaut que par son côté poétique ; la poésie est un hymne à la musique ; la musique est faite de métaphores mélodiques et rythmiques ; la métaphore verbale s'identifie avec la maxime. | | | | |
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| art | | | L’inspiration offre le commencement, mais, pour le valider, il faut du travail : une adresse du développement ou une caresse par enveloppement. « Le génie commence les beaux ouvrages ; mais le travail seul les achève » - J.Joubert. | | | | |
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| joubert j. | | | Chez les uns, le style naît des pensées ; chez les autres, les pensées naissent du style. | | |  | |
| | art | | | Dans le premier cas, je ne connais que des avortons et dans le second - que des naissances illégitimes. Si je suis bête, le style le cache ; et si je suis intelligent, le style débouche sur des pensées, ces invitées de dernière minute. | | | | |
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| joubert j. | | | On appelle maniéré en littérature ce qu'on ne peut pas lire, sans l'imaginer aussitôt accompagné de quelque gesticulation menue, de quelque pincement de bouche ou de quelque contorsion. | | | | |
| | art | | | Tandis que suivre, sans manières, la marche hiératique ou l'engourdissement démotique de l'Éternité a, visiblement, toutes tes faveurs. C'est dans l'asphyxie qu'on approche le mieux la perfection. Sans souffle coupé, la littérature est irrespirable. Sans besoin de perdre pied, elle n'a pas de profondeur. Avec masque à la hauteur du regard, elle n'est que mascarade. « Il faut que tout en soi bouille, afin d'être, dans son débordement, plus que parfait » - Maître Eckhart - « Opportet se toto bullire quidpiam, ut sit exuberans plus quam perfectum » - la bouillie n'est pas la meilleure forme de débordement. | | | | |
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| joubert j. | | | En littérature, aujourd'hui, on fait bien la maçonnerie, mais on fait mal l'architecture. | | | | |
| | art | | | Rien ne danse plus dans cette lugubre marche du siècle. Cette bruyante littérature ignore la musique. « L'architecture fait chanter l'édifice » - Levinas. La salle-machines se substitua à la tour d'ivoire. | | | | |
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| bien | | | On devrait réhabiliter la réputation de l'âne ou de la vache : une épopée sur la patience et l'ironie ou un poème sur la pitié. La naissance et la mort de l'Europe virent, elles aussi, la déterminante présence bovine : en taureau violeur et en veau d'or consentant. Quand on chasse la poésie, ce qui reste ressemble à s'y méprendre à du beuglement. « La pitié est au cœur ce que la poésie est à l'imagination » - J.Joubert. | | | | |
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| bien | | | Dans nos parcours vitaux, l'esprit impose des contraintes et pose des jalons, le cœur dispose des commencements et l'âme transpose les horizons en firmaments. « La raison peut nous avertir de ce qu'il faut éviter, le cœur seul nous dit ce qu'il faut faire »* - J.Joubert. | | | | |
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| joubert j. | | | Philanthropie et repentir est ma devise. | | | | |
| | bien | | | On sent la fierté de misanthrope dans cette devise – agir pour rougir et rougir pour agir. | | | | |
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| cité | | | Quand ta vie libre est déjà envahie par la foule, ce n'est plus de la servilité, mais de la complicité ; sinon une servilité sociale (d'épiderme et de raison) protège la liberté vitale (d'âme et d'esprit). « Demandez des âmes libres, bien plutôt que des hommes libres » - J.Joubert. | | | | |
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| joubert j. | | | Les révolutions sont des temps, où le pauvre n'est pas sûr de sa probité, le riche de sa fortune et l'innocent de sa vie. | | | | |
| | cité | | | Sous notre démocratie, le pauvre est sûr de sa fortune, le riche de sa vie et l'innocent de sa probité. On gagna en grisaille et trivialité. | | | | |
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| joubert j. | | | Il faut que les forts cèdent une partie de leurs forces, et les faibles – une partie de leurs espérances. | | | | |
| | cité | | | Pourquoi brider la force, tandis qu'il suffirait de l'auréoler de plus de prestige, plutôt que de plus de privilèges ? Pourquoi renoncer à l'espérance, tandis qu'il suffirait de la rendre immatérielle ? | | | | |
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| joubert j. | | | La populace, partageant les ambitions de la philosophie, est venue faire avec les mains ce qu'il faut faire avec la tête. | | |   | |
| | cité | | | Les têtes, détournées de la philosophie, se solidarisent entièrement avec leurs mains et se vouent aux mêmes vétilles que la populace. | | | | |
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| doute | | | Un esprit grossier vise ce qui peut être précis ; un bel esprit s'intéresse surtout aux « objets, où toute précision est erreur »* - J.Joubert - surtout à l'échelle des mesures communes. Un bel esprit invente ses propres unités et outils de mesurage. Le médiocre se reconnaît par l'ignorance de l'incommensurable et par l'incapacité de créer ses propres balances. Pour manier les métonymies ou jongler avec les métaphores, le talent, c'est à dire l'instinct, maître de la précision implicite, suffit. | | | | |
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| doute | | | Le regard : dans l'unification avec l'arbre du monde, la faculté de continuer à garder des feuilles inconnues, ouvertes à de nouvelles fusions ; l'inconnu renaissant s'appellerait l'infini. Ce bel appel aux philosophes : « Dégage l'inconnue ! » de J.Joubert ! | | | | |
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| doute | | | Tout, pour être vu, lu, entendu, a besoin de lumière. Ma propre lumière suffit, pour ma danse et mon rêve, mais on « peut marcher ou agir à la lumière d’autrui »** - J.Joubert. | | | | |
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| doute | | | Les éclaireurs, face aux ombrageux : d’une époque à l’autre, les lumières du savoir changent, mais les ombres du valoir gardent leurs fières et libres empreintes. « Déplorables époques que celles où chaque homme marche à la lumière de sa lampe » - Joubert – j’aime mieux l’homme, dont les ombres dansent ! | | | | |
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| hommes | | | Le monde germanique eut toujours le culte de la force, se justifiant par l'ampleur d'un cœur en bronze ; le monde slave tint à la bonté, nous interpellant de la hauteur d'une âme languissante ; le monde latin s'épanouit dans la beauté, gisant dans la profondeur d'un esprit créateur. Mais c'est le premier culte qui l'emporte aujourd'hui, accompagné de la certitude de notre finitude : « Notre nature se compose de sa faiblesse et de ses forces, de son étendue et de ses limites »*** - J.Joubert – heureux vieux temps, où l'homme, ouvert et faible, vivait de son aspiration vers ses limites ! | | | | |
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| hommes | | | Jadis, il fallait connaître l'homme, pour lui trouver une fonction ; aujourd'hui, une fois que je comprends une fonction, je connais parfaitement l'homme qui l'occupera. « Peu d'hommes sont propres à inventer un rôle ; beaucoup le sont à le jouer » - J.Joubert. | | | | |
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| hommes | | | Les hommes exceptionnels forment des genres, caractérisés par un type de regard particulier sur des objets souvent imaginaires ; les hommes ordinaires appartiennent, entièrement, à l’espèce et ne disposent que des yeux, qui ne parcourent que des objets communs. La matière des premiers est vierge et originelle ; celle des seconds – partagée et secondaire. « Les faits trop attestés ont cessé d’être malléables »* - J.Joubert. | | | | |
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| hommes | | | Seuls les Codes et la correction politique définissent, aujourd’hui, ce qui est vice et ce qui est vertu. Donc, « rendre aimable le vice ou dégrader la vertu » (J.Joubert) sont des exploits d’une même platitude insignifiante. | | | | |
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| hommes | | | Les intellectuels français – Montaigne, J.Joubert, Valéry – ennemis de la gazette. Sur la scène publique, ils furent évincés par les journalistes – guetteurs des faits divers – depuis les affaires de Callas ou Dreyfus jusqu’aux gilets jaunes. À la charnière entre ces tribus inconciliables se trouvait Voltaire – l’ironie des premiers et le faux pathos des seconds. | | | | |
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| joubert j. | | | Ce qui fait que nous n'avons plus de poètes, c'est que nous pouvons nous en passer. | | |    | |
| | hommes | | | Les hommes quittèrent leur enfance et n'ont plus besoin que de vérité. | | | | |
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| joubert j. | | | Le luxe corrompt les mœurs ou le goût. | | | | |
| | hommes | | | L'impécuniosité somptuaire dépravant et les mœurs et le goût, heureusement que le ou y est exclusif. Le bon goût nous dit que « l'art s'entend mieux avec la misère et le luxe qu'avec la médiocrité »** - Herzen - « Искусство легче сживается с нищетой и роскошью, чем с довольством ». La musique, en effet, semble être l'apanage des deux, même si l'on ne sait pas si c'est le berger ou le prince, qui en fut l'origine : « C'est le luxe qui a fait naître la musique » - Démocrite. | | | | |
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| intelligence | | | L’art de ranimer les rêves et les mots – tel est le sens de la gaya scienza de Nietzsche : « Une philosophie pleine de fleurs, science gaie autant que sublime » - J.Joubert – la science n’y est qu’un art et les fleurs y font partie d’un arbre majestueux, de racines à canopée. | | | | |
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| joubert j. | | | L'esprit est l'atmosphère de l'âme. La pensée se forme dans l'âme comme les nuages se forment dans l'air. | | | | |
| | intelligence | | | Cette atmosphère, le plus souvent, interdit toute éclosion de vies hautes et toute pénétration par la lumière des astres. Elle saisit, sans envelopper de caresses ; elle étale, sans développer de largesses. Et, en mettant les choses au mieux, ne fait qu'arroser la montagne de mots, comme le chien des meutes honore l'arbre solitaire. Le rêve impossible : l'âme comme l'esprit enchanté, l'esprit comme l'âme concentrée. | | | | |
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| joubert j. | | | Tant qu'on a la force de se plaindre de la faiblesse de son esprit, l'esprit a de la force. | | | | |
| | intelligence | | | Regretter la force exclusive de son esprit est encore plus prometteur - on peut découvrir, en passant, l'existence de son âme, à la faiblesse vivifiante. « L'amour, c'est pouvoir être faibles ensemble » - Valéry. Comme l'intelligence ou la sagesse, ayant atteint de lumineuses profondeurs, s'élancent, au moment bien choisi, vers des hauteurs sombres, bêtes ou folles. | | | | |
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| joubert j. | | | Il vaut mieux remuer une question, sans la décider, que la décider, sans la remuer. | | |  | |
| | intelligence | | | Remuer une question, c'est d'y introduire un maximum de variables, pour des unifications futures. La décision d'une question mal remuée ne contient que de la plate vérité. | | | | |
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| ironie | | | J.Joubert dit que, comme Montaigne il se sent impropre au discours continu. Nous en sommes, en réalité, tous capables ; seulement, certains sont horrifiés par un ennui, qui, inévitablement, s’en dégage, et d’autres s’en accommodent, en ne quittant des yeux que la majesté des nœuds et en restant insensibles à la misère des arêtes. | | | | |
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| joubert j. | | | Le but n'est pas toujours placé pour être atteint, mais pour servir de point de mire. | | |     | |
| | ironie | | | La visée, d'une flèche ou d'une plume, dépend de l'ampleur des horizons et de la hauteur du firmament, que te dictera la noblesse et atteindra le talent. | | | | |
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| mot | | | Une maxime est toujours un commencement explicite et une fin implicite ; derrière son point final, on doit deviner des points de suspension, d’interrogation, d’exclamation. Quand on n’en est pas capable, on dit : « Tout commencement est petit » - J.Joubert. | | | | |
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| joubert j. | | | Comment il se fait, que ce n'est qu'en cherchant les mots, qu'on trouve les pensées ? | | |    | |
| | mot | | | Les pensées du sot préexistent toujours et s'annoncent avec des mots anonymes, sans éclat ni reflets. Les pensées du sage sont des effets de bord, des reflets dans des miroirs des mots, dans lesquels se mire l'esprit et y trouve son compte. « Je ne conduis pas ma plume, c'est elle qui me conduit » - L.Sterne - « Ask my pen, - it governs me, - I govern not it ». L'écriture crée des ombres inventées, et ensuite, l'esprit leur découvre une source de lumière réelle. Celui qui part d'un éclairage accessible, au lieu de suivre son étoile inaccessible, ne pense pas, il copie ou imite. « On pense à partir de ce qu'on écrit et pas le contraire » - Aragon. | | | | |
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| joubert j. | | | Les mots sont comme des verres, qui obscurcissent tout ce qu'ils n'aident pas à mieux voir. | | | | |
| | mot | | | Les vrais mots permettent surtout de voir ce qui se passe en deçà et non pas au-delà des verres. Ils réfléchissent et font réfléchir. Le mieux voir est souvent ennemi du mieux sentir. Les plus beaux mots sont au service du regard et non pas des yeux. | | | | |
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| joubert j. | | | Jamais les mots ne manquent aux idées ; ce sont les idées qui manquent aux mots. Dès que l’idée en est venue à son dernier degré de perfection, le mot éclot, se présente et la revêt. | | |     | |
| | mot | | | Les idées sont des mannequins, facilement interchangeables, pour moi, grand couturier ; elles sont des châtelains aléatoires, élégants ou grossiers, de mes châteaux de mots ; elles peuvent même être des racines de mon arbre, fier de ses fleurs et de ses ombres, ou bien le livret insignifiant de mes partitions, musicales et vitales. | | | | |
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| noblesse | | | Les fonctions principales des contraintes : ne pas dire ce que n'importe qui aurait pu dire à ma place, fuir le nominalisme (« Rien de trop juste ! » - J.Joubert), ne pas toucher aux choses exclusivement prosaïques, ne tendre que vers mes frontières inaccessibles, ne pas laisser les idées se répandre jusqu'à l'inévitable platitude finale, ce qui est propre de la réflexion, qui se propagerait sans contrainte. | | | | |
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| noblesse | | | Avoir de la hauteur signifie savoir traduire en vol ce qui, sans mon âme et sans mon talent, serait condamné à la marche. Mais les hommes, ayant compris la mécanique de l'aile, comme ils avaient compris celle du pied, se contentent, en tout, de la platitude. « Dans nos écrits, la pensée semble procéder d'un homme qui marche ; dans les écrits des Anciens, elle semble procéder d'un oiseau qui plane »* - J.Joubert. | | | | |
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| noblesse | | | La force nous aide à rester debout dans le réel ; la faiblesse nous maintient en position couchée afin que nous enfantions de rêves. L’intelligence sobre ou la sagesse enivrante : « La sagesse est la force des faibles » - J.Joubert. | | | | |
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| proximité | | | Ils s'acharnent à creuser le fond des choses et ils finissent par oublier que « toutes choses ont leurs racines au ciel »** - proverbe chinois. En les cherchant en terre, ils apprennent que « un des sûrs moyens de tuer un arbre est d'en faire voir les racines »*** - J.Joubert. Un pas au-delà des cimes, et je tombe miraculeusement sur les racines ou, mieux, je rencontre « le fruit final de l'arbre, dont nous sommes des feuilles » - Rilke - « die endliche Frucht eines Baumes, dessen Blätter wir sind ». | | | | |
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| proximité | | | Seules des ombres entourent ce qui est appelé à devenir sacré, et la sacralisation consiste en invention artificielle d’une lumière originelle, tout en vénérant les ombres. Entretenir les ombres, c’est entretenir le sacré ; appuyé sur la seule lumière, celui-ci se profane, en se dogmatisant. « Il y a de l’impudence à laisser sans voiles, à ses propres yeux, ce qui est sacré »** - J.Joubert. | | | | |
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| joubert j. | | | Penser à Dieu est une action ; penser au démon est une pente. | | | | |
| | proximité | | | Donc, Dieu, comme ses anges, aime la lutte. L'obstacle est, précisément, cette séduisante déclivité, la routine béate de l'accumulation. Le démon est dans la succession mécanique des pas, Dieu est dans l'audace du premier, du seul pas libre. Le démon de Socrate fut un ange, puisqu'il ne se manifestait que dans le refus de certains actes. | | | | |
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| joubert j. | | | Pour descendre en nous-mêmes il faut d'abord s'élever. | | |  | |
| | solitude | | | Pour s'élever, au contraire, il suffit souvent de s'abaisser jusqu'au niveau des mots qu'on foule. Malheureusement, on s'imagine, que l'élévation commence avec la hauteur des idées. Les idées n'ont pas de hauteur (ni, au demeurant, de volume). L'idée n'est qu'un lieu auquel Sa Majesté le Mot donne de la stature. On élève sa tour d'ivoire, sachant pertinemment, qu'elle terminera son parcours terrestre par des ruines célestes. | | | | |
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| souffrance | | | En songeant aux conditions les meilleures pour une écriture, au ton et à la pénétration, dont je rêve, je jalouse les destins antithétiques de ceux qu'enviaient Tolstoï ou Cioran - ceux des bagnards ou des persécutés - et pour un objectif inverse au leur - plus d'authenticité et d'humilité. Je jalouse J.Joubert ou H.-F.Amiel, leurs salons parisiens et leurs chaires helvètes, où la bile et la peine attestent une totale et orgueilleuse invention. | | | | |
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| joubert j. | | | J'ai donné mes fleurs et mon fruit ; je ne suis plus qu'un tronc retentissant. | | |   | |
| | souffrance | | | Les meilleures saisons d'un vrai arbre s'écrivent non seulement en couleurs, mais aussi en musique, en ampleur ou en recueillement, en actualité, en mémoire et même en douleur. | | | | |
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| joubert j. | | | L'esprit conçoit avec douleur et enfante avec délices. | | |   | |
| | souffrance | | | Comme dans la vie, la conception est tâtonnante et toute dans le sondage des profondeurs. Mais le nombre d'angles d'attaque est plus déroutant, et les aspérités et culs-de-sac abondent davantage. | | | | |
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| vérité | | | Nos avis se matérialisent, ils ont du poids et des couleurs ; la vérité est immatérielle, invisible et incolore. « La vérité ressemble au ciel ; et l'opinion à des nuages » - J.Joubert. Le ciel et la vérité sont des fantômes de notre imagination, qu'embellissent les nuages et les opinions. | | | | |
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| vérité | | | Toutes les grandes vérités furent déjà dites ; et en promettre de nouvelles, au bout d'une course, devint charlatanesque. Le seul aboutissement désirable est dorénavant l'enthousiasme initial sauvegardé, c'est à dire préservant une part salvatrice d'utopie, de mensonge. « Il y a des esprits qui vont à l'erreur par toutes les vérités ; il en est de plus heureux qui vont aux grandes vérités par toutes les erreurs » - J.Joubert - les pédants, vivant de moyens communs, et les poètes, vibrant de leurs propres images. | | | | |
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| vérité | | | Que la vérité soit l'objectif et le produit du discours philosophique est un immense malentendu, semé par les charlatans. En dehors de la science, la vérité sérieuse n'existe pas, puisque les empreintes photographiques de la réalité ne méritent pas ce titre. « La métaphysique plaît à l'esprit, parce qu'il y trouve de l'espace ; il ne trouve ailleurs que du plein »* - J.Joubert. | | | | |
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| vérité | | | Les vérités, c'est la sobre assurance des sentiers battus, et la poésie – le délicieux égarement des impasses. Aucune passerelle entre les deux n'est possible ; J.Joubert : « Vous allez à la vérité par la poésie, et j'arrive à la poésie par la vérité » – se trompe de point de départ, de parcours ou de destination. | | | | |
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| vérité | | | La paix d'âme ou le repos d'esprit sont deux calamités, que favorisent les vérités fixes : « Nous aimons tellement le repos d'esprit, que nous nous arrêtons à tout ce qui a quelque apparence de vérité » - J.Joubert. Vu sous cet angle, le contraire de la vérité serait la beauté ou la noblesse, qui nous promettent des extases, des fidélités ou des sacrifices, éprouvés hors toute raison prouvée. La beauté se montre et ne se démontre pas. La vérité assure les cadences, et la beauté – la musique. | | | | |
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| vérité | | | La représentation est une source de lumière, et un interprète logique s’en sert pour projeter cette lumière sur la proposition langagière, soumise à cette représentation pour être évaluée. La proposition est un objet composite, une structure, dont tous les nœuds doivent être éclairés, pour que la proposition soit évaluée à vrai. « Ce qui est vrai à la lampe n'est pas toujours vrai au soleil » - J.Joubert. | | | | |
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| joubert j. | | | Il y a des vérités inférieures, qui servent à la vie ; des vérités moyennes, qui exercent l'esprit ; enfin des vérités supérieures, qui éclairent l'âme. | | |    | |
| | vérité | | | Des esclaves qui servent ; des caporaux qui exercent ; des dieux qui illuminent un instant, pour nous laisser goûter ensuite notre intime obscurité. Les temples disparurent, les prisons et casernes se transformèrent en bureaux ; on ne vénère plus la vérité à naître, en pleine nuit des sens ; on exécute les algorithmes des vérités du jour, rodées par une raison en béton. | | | | |
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| joubert j. | | | Il y a des vérités qu'on a besoin de colorer, pour les rendre visibles. | | | | |
| | vérité | | | La logique, en les rendant lisibles, et la musique - audibles, ne les laissent transparentes qu'à ceux qui n'ont que les yeux pour voir. « Je crains, que mon âme ne devienne aveugle à force de regarder les choses avec mes yeux »*** - Socrate. Et Démocrite alla encore plus loin, en se brûlant les yeux, pour ne vivre que du regard. Et la philosophie, selon Socrate, ne serait-elle pas la musique la plus haute ? | | | | |
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| joubert j. | | | Les poètes, en cherchant le beau, rencontrent plus de vérités, que les philosophes n'en trouvent en cherchant le vrai. | | |    | |
| | vérité | | | Les vérités fécondes naissent de l'intuition, et le poète la précède, en suivant l'inspiration ; quant au philosophe, c'est par inertie qu'il tombe sur des vérités. Le poète ne crée que le beau, le vrai s'y insinue parfois. Mais, en plaçant le vrai plus près de l'âme que de l'esprit, il se dit, que « plus c'est poétique, plus c'est vrai » - Novalis - « je poetischer, desto wahrer ». | | | | |
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