Lermontov M.
 
 
 

amour
L'amour, comme mon soi inconnu, le bien, le bonheur ou Dieu, s'impose comme une pure présence-absence, sans que je puisse manipuler la distance qui m'en sépare ou y ajouter mes propres couleurs. « Ce que tu cherches ou ce que tu fuis ne saurait être du bonheur » - Lermontov - « Он счастия не ищет и не от счастия бежит ». Le peindre est le recréer.
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lermontov m.
Любовь, как огонь, - без пищи гаснет.

S'il n'est pas alimenté, l'amour, comme le feu, s'éteint.
amour
Il faut au feu - des aliments purs ; des matières indignes montent la fumée, et nous empêchent de renaître des cendres. D'autre part, il faudrait s'inspirer d'un autre élément, de l'eau : l'amour est une soif, dont on meurt, à la fois heureux et malheureux, près de la fontaine des sources. D'après Aphrodite et Narcisse, l'amour et la beauté sont anadyomènes.
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lermontov m.
Где есть общество женщин - там сейчас явится высший и низший круг.

La hauteur et la bassesse apparaissent, dès qu'il y a une société de femmes.
amour
Avec la féminité évanescente, disparaissent les hauts et les bas, et s'installe la platitude.
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hesse h.
Er hat geliebt und dabei sich selbst gefunden. Die meisten aber lieben, um sich dabei zu verlieren.

Il a aimé et s'en est trouvé devant soi-même. D'autres aiment pour se fuir.
amour
Peu importe ce que découvrent les yeux, l'amour nous emporte ailleurs, où n'est soi qui le veut. Quand on aime, on se met à se méconnaître (face à l'autre, les places de la cause et de l'effet s'inversent facilement : « La femme n'aime que celui qu'elle méconnaît »** - Lermontov - « Женщины любят только тех, которых не знают »). L'amour, c'est la perte, perte sans prix, perte, qui nous enrichit, même si c'est la perte de soi. « Que c'est lamentable : vouloir être aimé et se connaître »* - Canetti - « Wie lächerlich, daß man geliebt sein will und sich kennt ». N'empêche qu'on est peut-être le plus près de soi, lorsqu'on est amoureux.
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art
La hauteur du goût ne cédant pas à la hauteur du dégoût - Byron, Leopardi, Lermontov - un équilibre rarissime, mais à un niveau modeste. Ah, si Valéry avait les dégoûts de Bloy, ou Bloy - le goût de Valéry !
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art
Les philosophes insensibles à la poésie (les légions de professeurs), ou les poètes impuissants en prose (comme Baudelaire, Rimbaud ou Mallarmé) font douter de l'universalité de leur don. Les poètes complets mettent de la poésie en tout, y compris dans la prose : Shakespeare, Goethe, Pouchkine, Lermontov, Hugo, Rilke, Valéry, Pasternak. La poésie comme genre ayant sombré, la poésie comme tonalité discursive ne peut plus se pratiquer qu'en philosophie.
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pasternak b.
Если Лермонтов писал кровью, Гоголь - слезами, Толстой - краской, Салтыков-Щедрин - желчью, то Достоевский писал чернилами. Профессиональность его прозы.

Lermontov écrivait avec du sang, Gogol avec des larmes, Tolstoï avec de la peinture, Saltykov avec de la bile, Dostoïevsky, lui, écrivait avec de l'encre. Le professionnalisme de sa prose.
art
Les mots ailés, plus fidèlement que les tripes, portent nos larmes et maintiennent le discours au stade d'un livre vivant, d'une belle urne, d'un durable écho. « Le sang de mon esprit, c'est ma langue » - Unamuno - « La sangre de mi espíritu es mi lengua ». La littérature moderne s'écrit exclusivement avec du solide. L'avantage de tout liquide est de savoir épouser la forme des plus beaux récipients : livre, urne, écho.
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bien
Ce ne sont ni les passions ni les idées qui changent le monde, mais une mauvaise inertie chargée d'un bon fatalisme. Toute accélération de l'histoire moderne est tangente et contingente. Par ailleurs, l'idée devrait n'être qu'enveloppement d'une passion, comme « les passions ne seraient que les idées au premier stade de développement »** - Lermontov - « страсти не что иное, как идеи при первом своём развитии ».
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cité
J'ai un goût pour la liberté du faible, du vaincu, de l'ange : Leopardi, Lermontov, Cioran. La liberté prônée par Goethe ou Baudelaire, liberté du fort, du gagnant, du démon, Lucifer ou Léviathan, - est grégaire, en seconde lecture.
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doute
L'avenir personnel ou collectif devint si transparent, bourré de tant de certitudes et clartés insipides, qu'on envierait nos ancêtres que fustige, pourtant, Lermontov : « De quelle tristesse est pleine notre génération – son avenir est vide ou obscur » - « Печально я гляжу на наше поколенье ! Его грядущее - иль пусто иль темно ».
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doute
Dès que je me dote de bonnes contraintes, mon chemin devient forcément oblique :  « Tout est oblique ; rien n'est droit dans notre fichue essence, si ce n'est la franche bassesse » - Shakespeare - « All is oblique ; there's nothing level in our cursed natures, but direct villainy ». Les droits chemins et l'avance vers un but net sont déjà à portée des machines. La vie, jadis organique, devient mécanique. « La vie nous pèse tel un chemin droit sans but » - Lermontov - « И жизнь уж нас томит, как ровный путь без цели » - c'est la droiture qui pose problème, puisqu'elle nous prive de mystères.
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hommes
L'aboutissement moderne des idéaux antiques : le stoïcien - homme d'affaires ou écolâtre, le cynique - juriste ou journaliste, l'épicurien - politicien ou artisticule, le sceptique - homme de la rue. Le romantisme aristocratique des Goethe, Byron, Chateaubriand, Leopardi, Lermontov ne fut qu'une parenthèse anti-antique, vite barrée des chroniques intellectuelles. Et en admirant passivement Nietzsche, Ortega y Gasset ou Cioran, je me sens écœuré en compagnie de leurs admirateurs actifs.
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ironie
Une curieuse déviation des plus impétueux des poètes, esclaves de leur noblesse - Byron, Hölderlin, Lermontov - la litanie pour la liberté et la paix.
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lermontov m.
Так тощий плод…
Висит между цветов…
И час их красоты - его паденья час !

Tel ce fruit précoce, parmi l'éclat des fleurs : l'instant de leur beauté, c'est l'instant de sa chute.
ironie
Ève et Newton surent en profiter, aidés par la sagesse des reptiles, mais c'est l'ivresse des volatiles qui abrège la fête des sages.
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mot
Prouvé par l'expérience : quand une pensée est ressentie si grande, que son enveloppe verbale serait sans importance, elle s'avère être creuse. Les penseurs sont persuadés du contraire. Qui a assez de front, pour reconnaître, que l'épaisseur d'une pensée (et, évidemment, non pas sa hauteur, qui est surtout pré-langagière et post-idéelle) ne se constitue que de mots ? Aucune pensée ne naît nue. La force des mots fait surgir des pensées, et très rarement l'inverse : « Sur une pensée irradiant la puissance, les mots, comme des perles, viendront s'enfiler » - Lermontov - « На мысли, дышащие силой, как жемчуг, нижутся слова ».
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mot
Le mot en pointillé crée des états d'âme éclectiques ; mais modulés par la trajectoire des idées (l'idée est l'acte du mot), ils doivent prendre une forme syncrétique, nuage de points orienté. L'idée organique traduit une image d'une seule pièce, le mot thaumaturgique la recrée de toutes pièces. « Les idées sont des créatures organiques ; la forme leur est donnée à la naissance, et cette forme est l'acte » - Lermontov - « Идеи - создания органические : их рождение даёт уже им форму, и эта форма есть действие » - les formes fécondes en idées (Valéry).
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mot
Les adjectifs traduisent la faiblesse des noms et l'indifférence face aux verbes ; mais la poésie étant le chant de la faiblesse, par un verbe partial, les adjectifs y sont les bienvenus. Sans eux, on peut, en effet, brosser, à grands traits, un arbre inéradicable (verbes-nœuds, noms-branches). Mais d'autres y chercheront des fleurs. Le verbe est l'âme, le nom - la raison, l'adjectif - le cœur. Pouchkine est dans l'harmonie de tous les trois, Lermontov est le verbe, Blok - l'adjectif, Pasternak - le nom.
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noblesse
Désirer, c'est avoir une requête à soumettre. Le sot, qui imagine, que les mots représentent le monde, trouve son désir plein. Le désir du sage est vide, et il ne cherche qu'à être rempli par l'interprète le plus inspiré. Remplir, c'est substituer aux inconnues - des représentations d'au-delà des mots. Si l'on manque d'inconnues, si l'on ne cherche pas à s'unifier avec le monde, même imaginaire, on méritera le mot de Lermontov : « L'homme le plus vide est celui qui n'est rempli que de soi » - « Тот самый пустой человек, кто наполнен собою », à moins que ce vide artificiel ne serve que pour y accueillir une musique ou une voix de Dieu. Le dernier homme est rempli des échos des autres.
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russie
La Russie : l'angélisme de Pouchkine, les Âmes Mortes de Gogol, le Démon de Lermontov, le sommeil d'Oblomov, le souterrain de Dostoïevsky, le purgatoire de Tolstoï, les bas-fonds de Gorky, l'enfer de Soljénitsyne - que des coulisses, rien sur l'avant-scène. On déjoue la vie au lieu de la jouer. On préfère être forcené ou obscène - hors de bon sens, hors de scènes - plutôt que se sentir trop près de la rampe.
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russie
La mesure du gouffre creusé entre l'Europe et la Russie par le règne du goujat : je n'ai aucune peine à tracer un chemin, qui mène de Byron à Lermontov, sans ruptures ; de la conscience historique de Soljénitsyne je n'arrive pas à atteindre même les Valaco-Bohémiens Conrad, Kundera ou Cioran, quoique sa conscience tout court en fasse un Dante homérique, toujours dans l'infernal ou dans l'épique.
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russie
Ce qui frappe un Russe, chez les Européens, c’est l’absence, chez eux, de tout doute sur la place qui leur est dévolue dans la société. Homme de trop, homme superflu, homme ne trouvant pas sa place dans ce monde – tel est le personnage le plus original de la littérature russe et présent chez Griboïedov, Pouchkine, Lermontov, Tourgueniev, Tchékhov. Plus que l’horreur criarde de la réalité, c’est la beauté, humble ou fière, du rêve évanescent qui le met en marge du réel.
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russie
Pour être fidèle au Beau, il faut se mettre au-delà du Bien et du Mal ; pour tenir à la liberté, il faut, au contraire, y mettre son nez et en apprécier l’arôme. Mais les Russes ne sont capable ni de l’un ni de l’autre ; ils sont « indifférents, sans honte, au bien et au mal » - Lermontov - « к добру и злу постыдно равнодушны ».
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solitude
Aujourd'hui, même dans les sous-sols et les cavernes (de Dostoïevsky et de Platon) s'installe le souci des casernes ou des salles-machine. Il reste le ciel, qui n'est jamais collectif, et où j'ai encore une chance d'avoir ma cellule ou mon étoile bien à moi. Mais, pour y accéder, je dois prouver ma parenté avec les astres. Le malheur du solitaire est qu'il est « étranger sur terre et dans le ciel » - Lermontov - « чужд всему - земле и небесам ». La solitude, c'est aussi le dépérissement de mon arbre généalogique.
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Lermontov M.