Maïakovsky V.
 
 
 

action
Le plus souvent, le plumitif devenu combatif cesse d'être créatif jusqu'à devenir vomitif. Il faut être Maïakovsky, pour que la plume supporte la comparaison avec la baïonette Le prince de Marcillac troqua avantageusement l'épée contre la plume. La plume de Sartre, quoi qu'il en dise lui-même, ne ressemble guère à l'épée (s'il parle, il tire – la langue, peut-être, mais ni l'épée ni la flèche) ; les deux mains de Heine (« Ich bin das Schwert ») ou de Stendhal, tenant, chacune, la plume ou l'épée, heureusement, se désolidarisent. Les révolutionnaires intègres veulent manier les deux : « Sans fusil, mauvaise plume ; sans plume, mauvais fusil » - R.Debray.
art,ironie,lutte,révolte

amour
Ce ne sont ni gouffres ni falaises qui brisent l'élan amoureux, mais, le plus souvent, la platitude. « La barque de l'amour se brisa contre la platitude » - Maïakovsky - « Лодка любви разбилась о быт ». Le plus shakespearien poète du siècle dernier savait traiter son époque comme Shakespeare - l'Antiquité. Au siècle suivant on comprendra qu'on puisse voir en Lénine ce que Shakespeare discernait dans Antoine ou Rimbaud dans le roi Ménélik.
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amour
L'amour est la seule manifestation pulsionnelle du beau, entraînant dans le même tourbillon et l'âme et le corps. On a peur d'imaginer, que les vibrations de ceux-ci ne s'accordent plus jamais. « Ne plus aimer, c'est ça, l'angoisse ; ne plus oser, c'est ça, l'enfer » - Maïakovsky - « Страшно - не любить, ужас - не сметь » - heureusement, l'angoisse s'avérera ennui et l'enfer – un paradis ennuyeux.
âme,angoisse,audace,élan,ennui,souffrance

art
Mon étoile n'a pas de lumière, visible aux autres ; mon message aura besoin de la lumière des autres, qui, en fonction de son intensité, projettera soit mes ombres soit mes ténèbres. Rilke voulait porter la lumière de son étoile éteinte ; Maïakovsky : « Ce n'est pas en lumière d'une étoile morte que vous atteindra mon poème » - « Мой стих дойдёт не как свет умерших звёзд » - s'en méfiait.
étoile,mort,ombre,poésie

cité
Je peux pardonner à A.Blok et Maïakovsky, à E.Jünger et Heidegger, qu'ils aient entendu une musique, en haut d'une tour d'ivoire révolutionnaire. Qu'ils n'aient pas entendu le hurlement dans des souterrains est impardonnable.
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cité
Le révolutionnaire voudrait, que tout faible pût compter sur la solidarité du fort. « Pour que, si, tombé, tu cries : Camarade ! - la Terre entière se penche sur toi » - Maïakovsky - « Чтоб вся на первый крик : - Товарищ ! - оборачивалась земля ». Mais aujourd'hui, où l'indifférence ne gêne en rien le fonctionnement de l'homme robotisé, celui-ci rejoint le cimetière avec la même paix d'âme que son bureau. Le problème se simplifia, depuis que l'homme devint mouton raisonneur ou robot raisonnant. Et il existeront des préposés aux défaillances, pour que la Terre, en toute bonne conscience, puisse continuer à vaquer à ses saloperies, sans tourner la tête. Qui encore peut dire que « autrui n'apparaît pas au nominatif, mais au vocatif » - Levinas ?
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cité
Au début, on salue le révolutionnaire qui achève une hyène, un loup, un corbeau ; mais ensuite vient le tour des pigeons ou des taupes : « Vite, tordez le cou au canari, avant que le communisme n'en soit attendri » - Maïakovsky - « Скорее головы канарейкам сверните - чтоб коммунизм канарейками не был побит ! ». Quand il s'agit de tordre des cous (du canari, du loup, du requin, de l'insecte, de la vermine), c'est le porc qui risque de prendre la tête de la croisade. C'est ce qui se passa. Mais si on cherche à redresser son propre cou, on se transforme en hyène. C'est ce qui se passa dans un autre pays. Incliner son cou ? - est-ce la solution ? Renoncer au chant du cygne ?
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cité
Pour qu'on puisse manier rigoureusement une logique, le système doit être fermé. C'est pourquoi le nazisme et le bolchevisme possédaient la vérité et la grandeur internes (innere Wahrheit und Größe - Heidegger, la musique de A.Blok, la vérité-force de Maiakovsky et Tsvétaeva), tandis que la démocratie, ce système ouvert, en est dépourvue, étant renvoyée à la transparence, la justice et l'efficacité externes.
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cité
Si l'on veut une société libre, efficace, juste, on doit faire taire la musique des hauteurs et l'intelligence des profondeurs ; la prospérité pousse dans la platitude. « Le communisme – une hauteur, une profondeur ; aucune platitude ne mérite le titre de communiste » - Maïakovsky - « Коммуна – высота, глубина. Не возвести в коммунистический сан плоскость ».
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mot
Peu de choses réunissent en elles, simultanément, autant de force et d'impuissance que le mot. « Je connais la force des mots. Du vent, semble-t-il, et… l'homme pourtant, avec toute son âme, ses lèvres, sa carcasse » - Maïakovsky - « Я знаю силу слов. Глядится пустяком, но человек душой губами костяком ». Ils sont bien des instruments à vent et, pour plus d'harmonie, ils se font accompagner de quelques cordes des pensées. La bouche et les doigts, qui s'adressent à l'œil et à l'oreille.
âme,force,idée,ouïe,ordre,regard

noblesse
La même noblesse anime les grands poètes ; elle peut se manifester par attachement aux mots (le talent et l'âme), aux courants d'idées (l'intelligence et l'esprit), aux formations politiques (le besoin de reconnaissance et la raison). Byron, Chateaubriand, Rilke se contentèrent du premier volet, Hölderlin, Nietzsche, Valéry y ajoutèrent le deuxième, Hugo, Maïakovsky, Aragon – le troisième. Goethe fut le seul à tenter tous les trois, comme notre contemporain, refusant les titres de poète et de héros, R.Debray.
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russie
La sensation d'être un exilé de l'intérieur, dans mon propre pays, est précisément la preuve, que je suis bien à lui. « Je ne suis pas à toi, ô laideron de neige » - Maïakovsky - « Я не твой, снеговая уродина ». Les meilleurs enfants de la Russie furent ses enfants prodigues. Certains trouvaient même à l'exil l'aura d'une mission : « Nous ne sommes pas des bannis, nous sommes des bénis » - Berbérova - « Мы не в изгнании, мы - в послании ».
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russie
L'actualité, aujourd'hui, occupe la totalité des horizons humains ; tout est consacré au jour, et la nuit des temps n'attire plus grand-monde. Curieusement, actualité se dit en russe - haine du jour : « Je porte au siècle la haine du jour » - Maïakovsky - « Я веку злобу дня несу ». Il serait plus subtil de porter au jour l'amour du siècle.
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solitude
Non, les hommes ne sont point aveugles, ils sont seulement privés de leur propre regard. C'est le solitaire qui est aveugle, puisqu'il devient regard. « Je porte la solitude du dernier regard, dans un monde des aveugles » - Maïakovsky - « Я одинок, как последний глаз у идущего к слепым человека ». Ils m'entoureront de leurs gestes et même de leurs yeux, et me conduiront jusqu'aux sourds, où je connaîtrai ma dernière solitude, celle de ma musique, ignorée de leurs oreilles et étouffée dans leur brouhaha.
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souffrance
Lycurgue, Empédocle et Socrate, Lucrèce, Sénèque et Cicéron, Chamfort et Kleist, Tchaïkovsky et Maïakovsky, Hemingway et S.Zweig, Tsvétaeva et S.Weil, Pavese et Celan - j'ai beau tourner et retourner cette liste de suicides, je n'y décèle aucune lignée héritable. Le pathos varié de l’avant-dernier pas ne se transmet pas au dernier, au commun : « Amour de l’agonie et horreur de la mort » - Cioran.
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Maïakovsky V.