Mallarmé S.
 
 
 

action
Le faire te rapprochant du connaître, le connaître du faire - telle est la cadence de l'homme d'action. La trajectoire ne dépasse pas la représentation, comme la représentation ne garantit pas la trajectoire. Toute marche mène à l'avoir, si aucune étoile de l'être ne bénit ton pas. Préférer au chemin - ses coordonnées ? - « Rien n'aura eu lieu que le lieu excepté peut-être une constellation » - Mallarmé.
chemin,étoile,être,maîtrise,représentation,savoir

art
L'art, c'est une lutte contre le hasard, mais il comporte, lui-même, deux types de hasards internes : le hasard d'émission et le hasard de réception ; le premier, c'est le coup de dés que toute pensée émet (Mallarmé), et le second, c'est la bouteille à la mer recevant cette pensée ; le drame du message et la tribulation de la messagerie.
défaite,idée,jeu,tragédie

art
L'étrange surdité du goût chez ceux qui en ont pourtant une bonne vue : Platon préférant les généraux aux poètes, Nietzsche reconnaissant son devancier en Spinoza, Nabokov sélectionnant Robbe-Grillet, Valéry et ses faux modèles de Descartes et de Mallarmé, Cioran en admirateur de Saint-Simon ou Fitzgerald, G.Steiner voyant le plus grand génie du siècle en Proust (qui est pire que Saint-Simon, tout en pratiquant la même tonalité sirupeuse et nauséabonde).
gloire,goût,grandeur

art
L'écriture : à partir d'une fleur faire penser au paysage d'un bouquet, au climat d'un arbre ou ni à l'un ni à l'autre (Mallarmé). Dans le dernier cas, la fleur reste en papier.
arbre,climat,platitude

art
Les philosophes insensibles à la poésie (les légions de professeurs), ou les poètes impuissants en prose (comme Baudelaire, Rimbaud ou Mallarmé) font douter de l'universalité de leur don. Les poètes complets mettent de la poésie en tout, y compris dans la prose : Shakespeare, Goethe, Pouchkine, Lermontov, Hugo, Rilke, Valéry, Pasternak. La poésie comme genre ayant sombré, la poésie comme tonalité discursive ne peut plus se pratiquer qu'en philosophie.
modernité,philosophie,poésie,style,universel

mallarmé s.
La poésie est une expression de la pensée, entre la langue parlée et la musique.
art
Chacun porte en soi une corde poétique : le créateur-esprit souffle le thème et la mesure et choisit les instruments, l'âme y introduit la mélodie et fournit l'interprète. Quand l'âme est poétique, l'interprétation se fait souffle-à-souffle. Et si une pensée naît, incidemment, de la poésie, ou de la musique, c'est par un effet de bord d'une traduction mot-à-mot. Dans la langue originaire, la pensée est l'invité de dernière minute.
âme,création,esprit,idée,interprétation,mot,musique,poésie

mallarmé s.
Le poème est un mystère, dont le lecteur doit chercher la clef.
art
Le mauvais lecteur prend la porte du mystère pour celle des solutions. Le sésame, chiffré par le serrurier mystérieux, appartient à la bouche et non pas à la serrure problématique. Je préfère les poèmes qui sont eux-mêmes des clefs de virtuose, auxquelles je dois chercher des serrures, décorant mes ruines.
auteur,france,interprétation,mystère,poésie,ruines

mallarmé s.
Au contraire d'un numéraire représentatif, le dire - avant tout, rêve et chant, - retrouve chez le Poëte sa virtualité.
art
Rêver et chanter les valeurs, dont on ne veuille ni traduire ni dévoiler le vil prix.
axe,mot,négation,poésie,réalité,représentation

mallarmé s.
Le vice, rongeant ma native noblesse, m'a marqué de sa stérilité.
bien
Le vice, c'est une sortie du dessein, que Dieu forma pour l'homme. Dieu nous voulait poètes, et nous voilà - robots, ce vice final, avec une fécondité matérielle et une stérilité spirituelle. Et la noblesse, en effet, ne peut être qu'innée ; si elle est malléable, c'est que je manque de talent, pour créer, ou d'intelligence - pour rêver.
dieu,esprit,intelligence,matière,noblesse,poésie,robot

claudel p.
Le Tau, signe de la compassion. Pour comprendre combien elle est large, regardez comme elle est haute.
bien
Il existe un autre signe de la croix, encore plus haut, c'est le X, signe du doute. (Pensez au doute du Jeu suprême du Sonnet en X de Mallarmé !) Préférer le sautoir de St-André au chapelet de St-Antoine ! Préférer St-Philippe, à la croix couchée, à St-André ! Mais la plus belle (P)passion est compassion - rencontre d'une vivante ironie et d'une pitié morte.
amour,doute,hauteur,ironie,mort,pitié

cité
Les faux rebelles : Hugo, Flaubert, Dostoïevsky, le Nietzsche du surhomme, Mallarmé, les surréalistes, les nouveaux de tout poil des années 60-90 du siècle dernier. Les vrais : Rousseau, Rimbaud, Tolstoï, le Nietzsche du trop humain.
grandeur,révolte

mallarmé s.
L'homme peut être démocrate, l'artiste se dédouble et doit rester aristocrate.
cité
Être entier est devise de l'homme d'aujourd'hui ; sa face aristocratique s'étiola partout. Et ce qui explique aussi l'entente, et même la fusion, entre le mouton et le robot, l'instinct et la raison.
art,mouton,noblesse,raison,robot

doute
La musique ne peut sauver un discours que s'il est impénétrable. Les obscurités pénétrables (Mallarmé et Valéry) dépendent beaucoup moins de la musique ; une fois l'œuvre pénétrée, ou bien on s'aperçoit, que le tambourinage est son interprétation la plus juste (Mallarmé), ou bien qu'une orchestration, plus subtile qu'à première ouïe, s'impose à notre esprit (Valéry).
consolation,esprit,goût,inconnu,interprétation,mot,musique,ouïe,simplicité

mallarmé s.
Le coup de dés jamais n'abolira le hasard.
doute
Le tirage de loterie n'exclut pas ma chance ou le coup d'œil préservant le regard - c'est aussi profond et bête. Et dire que hasard veut dire jeu de dés… Un autre a dit cette ineptie : « Le calcul vaincra le jeu ». Pour Einstein, Dieu répugne le jeu de dés probables et se consacre aux lois nécessaires ; tandis que Nietzsche, « en extase devant les coups de dés divins, pour de nouvelles créations » - « zitternd von schöpferischen neuen Götter-Würfen », en fait l'initiateur du possible artistique.
art,création,jeu,nécessité,raison,regard

intelligence
Trois sortes de réel : le minéral, le vital, le social. Leurs contraires s'appellent mot, pensée, aristocratisme. Éviter de se servir du premier comme du support de ses émotions ; vénérer le mystère du deuxième, sans le réduire aux solutions du troisième ou aux problèmes du premier ; ne pas se frotter au troisième, qui est pourtant le seul à donner un sens à une écriture. Et ils n'entendent pas la chose de la même oreille : « exclus-en le réel » (Mallarmé, le premier sens) ; « s'immuniser contre le réel » (Proust, le deuxième) ; « l'âme outragée par le réel » (Chestov, le troisième) ; « le réel est nul » (Valéry, tous les trois).
âme,amour,art,cité,honte,idée,mot,mystère,noblesse,ouïe,…

mallarmé s.
Signifier, fonction du numéraire facile et représentatif.
intelligence
Tu vois mal la place du langage. Signifier, c'est interpréter dans un langage, bâti sur une représentation. L'infini du langage et l'infini des interprétations rendent secondaire le rôle de la représentation.
balance,erreur,inconnu,interprétation,langue,représentation

ironie
Tant d'artistes oublient, qu'un parterre de fleurs est aussi ennuyeux qu'un potager de navets. La fleur n'est belle que « hors bouquets » (Mallarmé).
beauté,ennui,solitude

ironie
L'objection principale contre l'abstraction totale, dans le métier du mot (Mallarmé) : l'ironie n'a plus de sens, si l'on ne fait qu'évoquer des objets au lieu d'y toucher. Et sans l'ironie, point de littérature.
concept,mot,réalité

ironie
Dans la dispute entre la profondeur et la hauteur, c'est encore la musique qui tranche le plus définitivement : l'intelligence, vouée à la seule profondeur, ne peut battre que de sourdes cadences, tandis qu'en hauteur on croise même jusqu'aux inanités sonores (Mallarmé).
hauteur,intelligence,musique

ironie
Le philosophe s'intéresse aux textes et non pas à la littérature ; il s'ennuie à mort avec le profond et avec l'intelligent ; pour tester sa faculté de débrouillage savant et tropique, il lui faut de l'aléatoire, du décousu, de l'insensé ; c'est ce qui explique la volupté des charognards professoraux à autopsier et à glorifier des déments (ou amens) et des faibles d'esprit, tels que Mallarmé, Trakl, Khlebnikov, Joyce.
continuité,esprit,folie,intelligence,philosophie

ironie
L’espérance est affaire des mélancoliques et des solitaires. Ceux qui cherchent à se désespérer sont, d’habitude, de paisibles philistins, repus et ennuyés par la banalité de leur vie. Exemple : l’œuvre la plus désespérante, pour Mallarmé et Valéry, fut la ridicule Walkyrie (Acte III), où le drame se déroule dans une écurie avec des chevaux manquant de vitesse ou de concupiscence (une étable de vaches – qui rient ! - conviendrait mieux à cet affolement féminin, semant le désespoir).
ennui,espérance,mélancolie,platitude,solitude,vie

mallarmé s.
De l'éternel azur la sereine ironie.
ironie
Ironiser sur l'infiniment proche ou l'infiniment lointain ; le calme des dieux hautains assurant le vertige profond.
hauteur,proximité

mot
Le langage résulterait d'un débordement (Hölderlin avec Heidegger) ou d'un vide (Mallarmé avec Badiou) - pas de contradiction entre les deux : les émotions naissant dans l'élément liquide et les pensées - dans l'aérien.
éléments,intensité,langue,négation,sentiment,vide

mot
Le langage s'adresse au discontinu et la vie est continue ; l'art est une vie en pointillé. Et la « continuité première de l'éden » (Mallarmé) y tourne en brisures infernales. Mais l'éden est fait d'un seul arbre, dont les brisures unifiables me sont plus chères que les brisées d'une forêt unifiée des autres.
action,arbre,art,bonheur,continuité,langue,vie

mot
Cette erreur irrécupérable de Mallarmé ou de Wittgenstein - la dissociation entre la langue et ses références extérieures, la source du sens soi-disant gisant dans la langue même. Toute image tropique - dépassant la musique et l'usage - naît déjà dans l'interprétation et celle-ci se fait dans le contexte d'un modèle et non pas d'un banal dictionnaire. Référence, vérité, sens, ces concepts de Frege, furent énoncés dans un mauvais ordre, avec de fausses symétries et analogies.
commencement,erreur,idée,interprétation,langue,représentation,vérité

mot
Le mot poétique se détache des choses et tend à devenir pure relation (non pas une couleur, mais une transition d'une gamme - Mallarmé) ; la poésie est algèbre des frissons, dont la philosophie est analyse.
concept,philosophie,poésie,représentation,sentiment

mot
Le nom est l'épiderme des choses. L'arôme est sur les épidermes des asphodèles et des nénuphars. En dessous, presque tout est insipide. Le nom est promesse (« Nomen est omen » - Plaute). Ce que « nous nommons rose sous un tout autre nom sentirait aussi bon » - Shakespeare - « we call a rose, by any other name would smell as sweet ». Aimer la rose, rose absente de tous les bouquets (Mallarmé contre Ronsard), chassée du jardin (« l'être-rouge de la rose est absent du jardin »** - Heidegger - « das Rotsein der Rose steht im Garten nicht »), mais aussi de son propre nom (U.Eco).
ange,être,goût,inconnu,platitude,solitude

mallarmé s.
Nommer un objet, c'est supprimer trois quarts de la jouissance.
mot
Quand on nomme par le nom. Nommer, ou plutôt suggérer, par une métaphore s'appelle créer ou initier. Le nominalisme, c'est le dernier, la suggestion - le premier ou l'avant-dernier pas.
bonheur,commencement,concept,continuité,création,métaphore,négation

mallarmé s.
Tout le mystère est là : établir les identités secrètes, au nom d'une centrale pureté.
mot
La solution poétique du sens : la pureté de l'arbre, surgi de l'unification des idées problématiques et inconciliables.
ange,arbre,inconnu,interprétation,mystère,poésie

claudel p.
Mallarmé laisse l'initiative aux mots. Comme l'homme ivre laisse l'initiative aux jambes.
mot
Laisser l'initiative aux idées, c'est abandonner son souffle à l'Alcootest. L'initiative devrait aller, tour à tour, à l'imprévu : au mot, à l'idée, au son. « Les mots sont générateurs d'idées, plus encore que l'inverse »* - Baudrillard. Le poème, qui ne s'appuie que sur le mot, s'écroule aux frontières des langues et des époques ; ce qu'a bien compris Valéry.
action,commencement,frontière,idée,intensité,musique,poésie,temps

noblesse
Être concerné par toutes les choses, c'est le credo de ces touche-à-tout de Rimbaud, Hofmannsthal, Mallarmé, Keats, Kafka, A.Breton ; ils n'ont pas de filtres, que des amplificateurs ou transformateurs leur assurant une hygiène de l'ennui (Baudelaire). Le travail filtrant : approche, attouchement, vibration - éliminer, maîtriser, vivre. Celui qui a un regard vibrant a rarement des yeux vibrionnants, contrairement à ceux qui pratiquent un « nomadisme intellectuel : les yeux, qui partout se nourrissent » - Emerson - « the intellectual nomadism : the eyes which everywhere feed themselves ». Je préfère les ascètes et les esthètes : « J'ai un goût sans prétention : les meilleurs me suffisent » - Wilde - « I have a modest taste : the best of the best is enough for me ».
élite,ennui,filtre,goût,regard,sentiment,universel

noblesse
En phylogenèse, la pureté précède la hauteur (Mozart et Beethoven, Pouchkine et Dostoïevsky, Schopenhauer et Nietzsche, Mallarmé et Valéry) ; en ontogenèse - plus fréquent est l'inverse.
ange,hauteur,négation

noblesse
Quand je désespère à trouver une raison quelconque à être fidèle à une noblesse, je me dis, que Mallarmé a peut-être raison et qu'il faut faire « sacrifice d'une vie à toutes les Noblesses ».
auteur,espérance,sacrifice,vie

schelling f.
Es gibt gar kein anderes Sein als Wollen : Grundlosigkeit, Ewigkeit, Selbstbejahung.

Le seul être – le désir : sans fondements, éternel, dans l’acquiescement.
noblesse
L'être serait donc l’indépendance face au temps, s’appuyant sur les commencements et l’espérance, c'est-à-dire sur tout ce que promet un Verbe ou une musique : « La musique, c'est une suspension rieuse, une joie douloureuse, un Dieu languissant » - A.Lossev - « Музыка есть смеющаяся беспочвенность, страдающая Радость, тоскующий Бог ». Avec le culte de l'impulsion initiale, on peut appliquer au futur comme au passé ce que Mallarmé associe au présent : « ce vierge, ce vivace et ce bel aujourd'hui ».
acquiescement,commencement,dieu,élan,espérance,éternité,être,musique,nihilisme,soi,…

russie
Sur l'exemple de Soljénitsyne on voit ce que représentent les trois quarts de siècle de culture, que les Russes n'ont pas partagés avec l'Europe. En revanche, dans le sens inverse, cette séparation explique, que le Français voit dans l'affaire Dreyfus un phénomène plus monumental que l'archipel du Goulag et tient l'héritage de Mallarmé pour plus évolué que celui de Tolstoï.
cité,culture,europe,france,grandeur,modernité

solitude
Contrairement au point de vue (l'horizon de rayon zéro), le regard (l'horizon devenu firmament) renonce à la continuité et part du point zéro, se détache des choses vues et se forme en solitude : « Résumer d'un regard la vierge absence éparse en cette solitude » - Mallarmé.
commencement,continuité,regard

cocteau j.
Le poète est un mensonge, qui dit toujours la vérité.
vérité
« La poésie est la conscience de sa vérité » - Mandelstam - « Поэзия есть сознание своей правоты ». Le poète a toujours raison ( J.Ferrat), ou il a des raisons, que les autres ignorent. « Tout mon pas est mensonge, mais c'est la vérité qui me met en marche »** - Dostoïevsky - « Пусть это лжи, но движет нас правда ». L'art est invention de nouvelles grammaires ; pour qui l'ignore, la nouvelle poésie est une erreur ; pour qui s'en enivre, la vérité est adhésion. Ex vero quod licet ; ex falso quod libet ! Le poète falsifie le mensonge avec tant de liberté et d'autorité, qu'on y adhère. Avoir une conscience de poète, « s'élevant forcenément dans le Rêve, proclamant devant le Rien, qui est la vérité, ses glorieux mensonges » - Mallarmé. Un beau mensonge est une vérité enivrante, un mentir-vrai (Aragon), me mettant en danse, en transe : « Si la vérité ne vous enivre pas, n'en parlez point » - J.Green. Aristote fut le premier à préférer une vérité prosaïque à l'amitié d'un poète - l'une des premières goujateries des raisonneurs.
création,danse,erreur,liberté,mensonge,poésie,religion,rêve,style
Mallarmé S.