| action | | | Tous les salopards nous renvoient aux candides motifs, pour justifier leurs sales actions. « Le motif seul fait le mérite des actions des hommes, et le désintéressement y met la perfection » - La Bruyère. Avec le plus droit des motifs, l'action sera toujours courbe ; n'écoute pas Sénèque : « L'action ne fut guère droite, si le motif ne l'a pas été » - « Actio recta non erit, nisi recta fuerit voluntas ». Les prônes sont pires que les actions ! « La récompense de l'acte dépend de ses intentions » - le Coran. L'action n'a pas d'intérieur, qui aurait pu la sauver, toute sa fécondité est à l'extérieur. L'action est trop franchement naturelle et le motif (et même le quiétif de Schopenhauer) est trop hypocritement artificiel. | | | | |
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| action | | | Dans l'édifice de mon soi, la volonté a le choix entre : agir, en sortant par la porte ; connaître, en se fixant à la fenêtre ; geindre, en cognant la tête contre les murs ; rêver, en perçant le toit, par le regard ou par le temps. Si, en plus, j'ai du talent, le monde, autour de mon château en Espagne ou de mes ruines, s'enrichira de belles représentations - me voilà schopenhauerien. | | | | |
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| action | | | Volonté, intellection, action - cette triade humaine est à l'origine de la Trinité chrétienne. Et dans les deux cas, l'action (de grâce) procède de la volonté et de l'intellection (ou par l'intellection - notre filioque humain !). On peut négliger l'action, pour qualifier le monde de l'immuable et de l'invariant (Schopenhauer). | | | | |
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| action | | | Qu'est-ce qui s'oppose au monde schopenhauerien ? Quelque chose d'immonde, de ce qui subordonne, à l'inverse d'Arthur, la volonté à l'intelligence et la représentation - à l'interprétation. La vie et l'art - à l'action. | | | | |
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| action | | | La même nécessité d'action se lit dans le conatus spinoziste, la volonté schopenhauerienne ou nietzschéenne, l'élan vital bergsonien. Mais sa nature peut être soit mécanique soit organique : soit développer l'idée par un discours sans vie, soit envelopper le discours du souffle de l'idée. La cohérence discursive du pouvoir ou l'intensité inchoative du vouloir. La puissance de la volonté ou la volonté de puissance. | | | | |
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| action | | | Pour eux, la volonté est une flèche affairée qui vise la puissance (Nietzsche) ou la réalité ( (Schopenhauer) – Drang nach Realität) ; pour moi, elle est une flèche immobile, visant un rêve inaccessible, et ma puissance est dans l’arc complice, arc du goût. | | | | |
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| action | | | Le rêve est nourri, en permanence, par la vie, tout en en étant l’opposé. Et la volonté, qui a ses racines dans la vie et ses floraisons – dans le rêve, cette volonté naît d’un trop plein, plutôt que d’un manque (Schopenhauer, S.Freud) ; deux flux en découlent – le désir ou l’action. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Der Wille ist die Wärme, der Intellekt - das Licht.
La volonté est ardente, et l'intellect - lumineux. | | | | |
| | action | | | Nietzsche tenta de renverser cette banalité, en faisant de la volonté un guide et de la vie intellectuelle - une intensité. À l'époque romantique, la volonté fut chargée de rythmes ; à notre époque robotique, elle n'exprime que des algorithmes. Jadis, l'âme se servait de la lumière intellectuelle, pour répandre de belles ombres ; aujourd'hui, les âmes sont paralysées par la grisaille des intellects calculateurs. | | | | |
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| amour | | | Que le délire philogyne des vieux Casanova, Goethe ou Tiouttchev me séduit davantage que ne me convainquent des savantes analyses des misogynes, vautrés dans leur misère sexuelle, tels que Byron, Schopenhauer ou Nietzsche ! Un manque cruel d'ironie, pour bien digérer ses déboires. Un manque, plus cruel encore, d'imagination, pour chanter ce qu'on ne connaît pas. | | | | |
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| amour | | | Chez un violent, le désir réveille l’appétit sauvage (la volonté de satisfaire sa voracité dominatrice), et chez un doux – la pitié (la perfection, la source, restant attirante mais inaccessible à ses soifs). C’est à celui-ci que pensait Schopenhauer : « Tout pur et vrai amour n’est que pitié » - « Alle wahre und reine Liebe ist Mitleid ». | | | | |
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| racine j. | | | Présente, je vous fuis, absente, je vous trouve. | | | | |
| | amour | | | Vous tenir, dans mes bras, absente, - de magnifiques indécisions spatiales, plus belles que l'indécision temporelle du « To be or not to be »Â ! L'appel de la proximité, auquel on répond par : se perdre dans l'ampleur, chanter la hauteur (Nietzsche) ou viser la profondeur (Schopenhauer). | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Alle Verliebtheit, wie ätherisch sie sich auch gebärden mag, wurzelt allein im Geschlechtstriebe.
Tout engouement amoureux, quelque apparence éthérée qu'il se donne, a sa racine dans l'instinct sexuel. | | | | |
| | amour | | | Ce qui en fait un bel arbre ! Aucun autre n'a autant d'inconnues, en tout point de son corps et de son âme. Aucun autre n'aboutit aux unifications aussi abondantes en lumières et en ombres, en pertes et en retrouvailles de soi, en élans et en immobilités, en puretés et en souillures. La voie unitive plotinienne est, à la fois, illuminative et purgative. L'alternative de l'arbre, c'est la platitude, la transparence, le morne enracinement dans le minéral. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Jede Liebe, die nicht Mitleid ist, ist Selbstsucht.
Tout amour, qui n'est pas pitié, n'est qu'amour-propre. | | | | |
| | amour | | | Toute passion n'affleure à la surface de la vie que par le courant d'une compassion. « Toute passion meurt, mais la pitié survit à tout » - G.Greene - « passion died away, but pity always stayed ». | | | | |
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| art | | | J'aimerais, qu'on comprît, que ce livre aurait gardé tout son sens, si je n'avais pas lu un seul des auteurs, qui en font le fond lointain ou le cadre immédiat. Nous sommes au temps des orages ; des nuages aléatoires traînent au-dessus de nos âmes réceptrices, chargées d'images et d'émotions ; l'éclair doit ne garder que le souvenir de nos âmes illuminées. Un bon exemple de fortuité des nuages passagers : pour Nietzsche - le bref passage de Schopenhauer et de Wagner, aux fonctions météorologiques. | | | | |
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| art | | | Trois dons majeurs d'écrivain - un tempérament, une hauteur, une ironie - que possèdent, séparément et sans partage, trois maîtres français : Bloy, Valéry, Cioran (en Allemagne, la morgue et le nihilisme de Schopenhauer et le port altier de Nietzsche ; en Russie, depuis l'espiègle Pouchkine, ironie est synonyme de légèreté). Sans atteindre les sommets de chacun, dans sa spécialité, ce livre aimerait en présenter l'équilibre. | | | | |
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| art | | | Nietzsche n'a rien à dire ; son message est dans le chant. S'il avait écrit avec la lourdeur littéraire de Hegel ou Schopenhauer, personne ne l'aurait pris au sérieux. | | | | |
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| art | | | La métaphore règne aussi bien en poésie qu'en prose et en philosophie ; elle s'attaque, respectivement, au langage, à la représentation ou à la réalité. Les plus connues des métaphores de la réalité : Dieu (pour tous les angoissés), l'Être (de Parménide à Heidegger), l'Idée (Platon), les catégories (Aristote), la perfection (de Spinoza à Valéry), la pensée (Descartes), la chose en soi (Kant), la volonté (Schopenhauer), l'intensité (Nietzsche). | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Jedes Kunstwerk ist bemüht die Dinge so zu zeigen wie sie in Wahrheit sind, aber durch den Nebel der Zufälligkeiten hindurch, den die Kunst hinwegnimmt.
L'art enlève la brume des hasards, qui ne permet pas de saisir immédiatement les choses comme elles sont en réalité. | | | | |
| | art | | | La brume est plus fréquente dans le regard que dans les choses ou dans le hasard. L'art, contrairement à l'artisanat, qui est chanté ici, n'aurait jamais existé sans cette brume, qui apparaît, dès qu'on enlève les œillères, dont l'esprit accable l'âme. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Der Stil erhält die Schönheit der Gedanken, statt daß bei den Scheindenkern sie durch den Stil schön werden sollen.
Le style contient, en lui-même, la beauté des idées, tandis que chez les pseudo-penseurs le style est censé les rendre belles. | | | | |
| | art | | | « Améliorer le style, c'est améliorer la pensée » - Nietzsche - « Den Stil verbessern heißt den Gedanken verbessern ». Les mots, tombés amoureux d'une beauté, se transforment en idées. L'esprit prétendant épouser la beauté, sans amour du mot, est début de mésalliances. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Der Stil ist die Physiognomie des Geistes.
Le style est la physionomie de l'esprit. | | | | |
| | art | | | L'habit invisible, que le visage de l'homme réclame, pour être admiré. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Die einzige Lösung des sozial-politischen Problems wäre die Despotie der Weisen und Edelen.
La seule solution du problème politique et social serait le despotisme des sages et des nobles. | | | | |
| | cité | | | Cette utopie noble est noyée dans une solution démocratique. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Der Mensch wird, als Folge der Züchtigung durch den Staat, ein Raubthier mit einem Maulkorb, ebenso unschädlich wie ein grasfressendes.
L'État n'est que la muselière, dont le but est de rendre inoffensive la bête carnassière, l'homme, et de faire en sorte qu'il ait l'aspect d'un herbivore. | | | | |
| | cité | | | Comparé à l'outil étatique antérieur - le gourdin, la muselière - certes, ceci témoigne d'un adoucissement certain. Mais aujourd'hui, où l'État est passé, armes et bagages, au service des carnivores, le vrai herbivore, dans une jungle sans brides, rêve de colliers et de muselières. | | | | |
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| einstein a. | | | Everything that is really great and inspiring is created by the individual who can labour in freedom.
Tout ce qui est vraiment grandiose fut créé par l'homme pouvant travailler en liberté. | | | | |
| | cité | | | En liberté on crée ce qu'on peut, dans une tyrannie - ce qu'on doit. Le grandiose est peut-être dans le pouvoir, mais le sublime est dans le devoir. Quand les deux se rencontrent, ça s'appelle vouloir, le désir, une liberté tyrannique, loin de tout labeur, celle qui te fascinait chez Schopenhauer : « L'homme peut faire ce qu'il veut - mais il ne peut pas vouloir ce qu'il veut » - « Der Mensch kann wohl tun was er will - aber er kann nicht wollen was er will ». | | | | |
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| doute | | | C'est le lieu et la nature de ce qui est rigoureux et de ce qui est flou, dans les concepts et dans le discours, qui prédétermine la stature d'un philosophe  : le flou poétique des concepts et le flou poétique du discours (les pré-socratiques, Nietzsche), la rigueur prosaïque des concepts et la rigueur prosaïque du discours (Aristote, Kant), le flou poétique des concepts et la rigueur prosaïque du discours (Hegel, Schopenhauer), la rigueur poétique des concepts et le flou poétique du discours (Valéry). C'est la dernière combinaison qui est la plus heureuse. | | | | |
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| doute | | | Il faut avoir parcouru les douzaines de ces pitoyables définitions de philosophie transcendantale, de philosophie de l'Histoire ou de monde comme volonté, chez Kant, Hegel et Schopenhauer, pour se débarrasser sur le champ de toute terreur devant les rats de bibliothèques. Aucun essor de la cervelle ne sauve la lourdeur du mot. | | | | |
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| doute | | | La conscience de l'esprit humble rend vitale l'existence, dans l'âme, d'une source d'hésitation et d'inquiétude, d'un punctum pruriens, de cette « intranquillité, qui ne se laisse pas calmer par un regard sceptique ou critique »*** - Schopenhauer - « Unruhe, die sich weder durch Skepticismus noch durch Kriticismus beschwichtigen läßt ». La conviction est le sommeil d'une conscience sans rêves. | | | | |
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| doute | | | Le sujet est un outil de perception, le soi - un outil de conception, le Je - un outil de création ; et c'est la volonté (perceptio plus appetitus de Leibniz) qui les met, tous, à contribution pour aboutir aux représentations, c'est à dire, d'après Schopenhauer, au monde, sans que je fasse appel ni aux choses ni à autrui. | | | | |
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| doute | | | Est charlatan celui qui, d'une hypothèse parmi d'autres, fait un principe unique ; des charlatans notoires, pris en grippe par Nabokov - Spinoza, Marx, Freud (charlatans du soupçon), ou par Schopenhauer - Schelling, Hegel (plumpe Scharlatane, tandis que sa propre lourdeur fut du même acabit). | | | | |
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| doute | | | Comprendre, c'est englober l'origine du premier pas, ce point zéro, qui ne s'appuie que sur la croyance, même en mathématique : « Si tu ne crois pas, tu ne comprendras pas » - Anselme - « Nisi credidentis, non intelligentis ». Une fois la compréhension bien balisée, la croyance s'installe, paisiblement, parmi des faits et des logiques : « Tu dois comprendre pour croire » - St-Augustin - « Intellige ut credas ». Les tenants des rigueurs monolithiques sont avec Schopenhauer : « Croire et comprendre sont deux plateaux d'une balance : plus l'une monte plus l'autre descend » - « Glauben und Wissen verhalten sich wie die zwei Schalen einer Waage : in dem Maße, als die eine steigt, sinkt die andere » - c'est la croyance qui grave les mesures et stabilise la balance ! Près des sources, la raison calculante doit devenir raison croyante : « Je dus écarter la raison, pour faire place à la croyance » - Kant - « Ich habe das Denken beiseiteschaffen müssen, um dem Glauben Platz zu machen » - il ne faut même pas laisser vide la place de la raison, il suffit d'y reconnaître son impuissance, ce qui est un geste de lucidité et de courage, apparenté au sacrifice. | | | | |
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| doute | | | Deux types de répartition d'ombres et de lumières, qui me sont également étrangères : la lourde noirceur à la Schopenhauer, avec ses lamentations sur l'absurdité et l'absence de sens, et la lumière grisâtre à la Hegel, avec sa soporifique et logorrhéique ontologie (ces deux compères sont, pourtant, portés aux nues par, respectivement, Wittgenstein et Marx). L'harmonie désirable est une projection d'ombres vers la hauteur, une fois que je suis pénétré par la lumière, qui se cache dans les profondeurs ; l'arc en ciel étant constitué d'enthousiasme, de honte et de noblesse, et les éclairs de l'esprit naissant dans les ténèbres. | | | | |
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| doute | | | La chose en soi est un concept totalement objectif ; le sujet humain n’est nullement impliqué dans la formation de son contenu. Seul un esprit tordu et une âme égarée, comme ceux de Schopenhauer, peuvent associer la chose en soi avec la volonté ! | | | | |
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| doute | | | Leibniz survole le royaume des mystères et trouve celui-là – majestueux et parfait ; Schopenhauer s’installe dans la république des solutions, et la traite de misérable ou d’abjecte. Et l’on pense que ces deux-là parlent du même monde. | | | | |
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| doute | | | Mon soi connu est, essentiellement, une éponge, qui absorbe le monde extérieur et le conçoit sous la forme des représentations ; mon soi inconnu est une fontaine, une source intérieure, résumant mon valoir (que Schopenhauer réduit à sa seule facette, le vouloir, tandis qu’il y a aussi le pouvoir et le devoir, que voyait bien Nietzsche). | | | | |
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| doute | | | À l’évidence de l’espace correspond l’énigme du temps. Ce que St-Augustin dit du temps : « si personne ne m'interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l'ignore » - « Si nemo ex me quaerat, scio ; si quaerenti explicare velim, nescio » est vrai pour la matière, comme, pour l’esprit, est énigmatique ce qui se déroule en nous. « Avant Kant nous étions dans le temps, depuis Kant le temps est en nous » - Schopenhauer - « Vor Kant waren wir in der Zeit, seit Kant ist die Zeit in uns ». Et l'espace, lui, n'a-t-il vraiment que trois dimensions, tandis que notre imagination géométrique pourrait facilement en ajouter tant qu'on veut ? Le temps-qui-passe et l'espace ouvert – deux énigmes du réel, défiant le temps-qui-dure et l'espace fermé. | | | | |
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| valéry p. | | | Un philosophe est celui qui en sait moins que les autres - (et en quelque sorte moins que l'homme qu'il est). | | | | |
| | doute | | | Socrate le prit trop à la lettre. On ne sait que dans un langage fermé ; et la création est ce qui nous rend ouverts, ces Ouverts, dans lesquels on converge vers ses limites, sans les atteindre, en soi-même. La meilleure, la profonde conscience de soi aboutit à la haute, à la féconde méconnaissance de soi. Et même du monde : « Le philosophe est un innocent, qui persiste à tenir pour énigmatique le monde, qui va de soi »*** - Enthoven. Et s'il va jusqu'au bout de tous les problèmes (Schopenhauer), c'est pour découvrir, derrière chacun d'eux, - des mystères. | | | | |
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| hommes | | | On peut être, à la fois, dionysiaque face à l'homme (Nietzsche), nihiliste face aux hommes (Schopenhauer), idéaliste face au sous-homme (Tolstoï), ironiste face au surhomme (Cioran). Nul besoin de la Aufhebung hégélienne, pour réconcilier ces quatre facettes d'un même regard. | | | | |
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| hommes | | | L'origine de la dévitalisation des hommes - la perte de la sensation d'arbre. Ils poussent, telles branches préprogrammées, interchangeables, mesquines mais bien assises, au milieu desquelles ne sont plus accessibles ni majesté du tronc ni grandeur des racines ni intuition des cimes ni joie des fleurs ni volonté des graines. « Reconnais ton essence, pleine de soif de l'être, reconnais-la dans le mystère d'un arbre fort »** - Schopenhauer - « Erkenne dein vom Durst nach Daseyn so erfülltes Wesen, erkenne es in der geheimen Kraft des Baumes ». | | | | |
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| hommes | | | La volonté guidée exclusivement par la raison, telle est la conséquence mentale de la robotisation cérébrale des hommes ; la volonté de vie (Schopenhauer) ou la volonté de puissance (Nietzsche), ces deux formes d'un soi inconnu, unique, voué à une défaite glorieuse, disparurent au profit de la volonté de réussir, cette forme d'un soi connu, transparent et grégaire. Le romantisme, c'est l'élégance d'acceptation de la défaite ; le contraire du romantique n'est pas le classique (qui est un romantique apaisé), mais le robot, programmé pour la réussite du cerveau et la perte de l'âme. | | | | |
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| hommes | | | En dehors du gribouillage de leurs monographies argotiques, pour obtenir une chaire universitaire, les philosophes professionnels ne s’intéressent qu’aux faits divers. Déjà , Schopenhauer commençait ses journées par la lecture de journaux ; aujourd’hui, ils mettent leurs talents à commenter des interventions policières, judiciaires ou fiscales. Un banal sociologue niche au fond de ces philosophes. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Der Arzt sieht den Menschen in seiner ganzen Schwäche, der Advokat in seiner ganzen Schlechtigkeit und der Priester in seiner ganzen Dummheit.
Le médecin voit l'homme dans toute sa faiblesse ; le juriste dans tout son mal ; le théologien dans toute sa sottise. | | | | |
| | hommes | | | Dans une société parfaite, le juriste verrait la faiblesse, pour la respecter, le théologien - le mal, pour le pardonner, le médecin - la sottise, pour en guérir. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Das Leben gleicht einer Komödie, die von Menschen angefangen, nachher von Automaten zu Ende gespielt wird.
La vie est la représentation d'un spectacle joué, au début, par les hommes-artistes et interprété, à la fin, par les robots. | | | | |
| | hommes | | | Le Créateur voulut, que l'apprentissage, la transformation en algorithmes de tout rythme de la vie, fût catalyseur de notre intelligence. Quand la quantité des entrées payantes l'emporte sur la qualité de mes sorties gratuites, je deviens un vrai professionnel, c'est-à -dire - automate. Jouer pour soi-même est devenu le privilège des ratés de la scène publique. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Der Tod ist der Musaget der Philosophie, weshalb Sokrates diese auch Vorbereitung auf den Tod definiert hat.
La mort est le musagète de la philosophie, et Socrate définissait celle-ci comme préparation de la mort. | | | | |
| | hommes | | | La philosophie crée des symphonies partout, où l'oreille aphilosophique n'entendrait qu'une trompette légère ou un lourd glas, un chant d'oiseau ou un rugissement de fauve, un silence de mort ou une explosion de joie. | | | | |
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| intelligence | | | Le monde, en tant que représentation, ce sont les faits en compagnie de la volonté des observateurs, acteurs et juges, qui formulent des idées, les interprètent, en retirent le sens, manipulent les faits. Presque du Schopenhauer. | | | | |
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| intelligence | | | Tout homme créatif est amené à exécuter la tâche de représentation, mais l'approche peut être de trois sortes : pragmatique - fournir des moyens, stratégique - déblayer le chemin vers un but, spirituelle - constituer un réseau de contraintes, deviner dans le sensible le langage de l'intelligible, voir l'étant à travers l'être : « Cette re-présentation de l'étant en vue de son être s'appelle penser » - Heidegger - « Dieses Vor-Stellen des Seiendes hinsichtlich seines Seins ist Denken ». L'être se réduisant à la volonté (Schelling), le monde (schopenhauerien) n'est qu'un interminable penser, ce qui n'est pas glorieux. | | | | |
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| intelligence | | | Qu'est-ce que penser ? - savoir que l'on doit (Kant), veut (Schopenhauer), peut (Valéry). Et sans le savoir - pas de valoir (Nietzsche) ; donc, au moins dans l'immédiateté, Descartes est plus près du moi que les autres. | | | | |
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| intelligence | | | Pour énoncer quelque chose de sensé sur un objet réel, deux choses sont nécessaires : sa place (dans un modèle) et son nom (dans un discours), ce qui inévitablement crée trois contextes irréductibles : la réalité, le modèle et le discours. Le monde n'est la représentation ET la volonté (Maine de Biran, Novalis ou Schopenhauer) que pour ceux qui maîtrisent ET la représentation conceptuelle ET la volonté psycho-linguistique. La science et l'art sont des flagrants déséquilibres de cette triade. | | | | |
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| intelligence | | | En remontant aux commencements, on n'aboutit, en dernière instance, qu'aux rythmes, timbres, hauteurs et intensités - que tout disparaisse, dans le monde ou dans nos espérances, il ne restera que la musique (Schopenhauer). La philosophie ne serait que du tone-painting (G.Steiner) ou le regard naïf (Bergson) – c'est à dire inné, naturel - en soi. Tout dans le monde est artificiel par son origine et naturel par son résultat ; d'où le culte de l'acte qui fixe et l'abandon du fait fixé. | | | | |
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| intelligence | | | Le combat des verbes, chez Schopenhauer (le vouloir contre le savoir) ou chez Nietzsche (le pouvoir contre le devoir) ne fait que substituer des idoles. En revanche, le combat des noms (la représentation contre l'interprétation ou la noblesse contre la faiblesse) produit des unifications fécondes. | | | | |
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| intelligence | | | La vie de l'homme est la triade : le monde, la représentation et la volonté ; et Schopenhauer se trompe en mettant EST à la place de ET. Vu à travers le langage, où se croisent ces trois branches, et en privilégiant la fonction enveloppante, face à la développante, on aboutit à la belle triade kantienne : « la volonté, le libre arbitre, la maxime »** - « Wille, Willkür, Maxim ». | | | | |
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| intelligence | | | La représentation est une création de modèles artificiels, tandis que l'apparence est une empreinte réelle, sur ma rétine ou au bout de ma langue. L'apparence est sur les parois de la Caverne, la représentation - dans le cerveau de son habitant. La représentation vise l'être, mais ne communique avec lui qu'à travers ses apparences. Le bon titre du livre de Schopenhauer serait - Le monde comme apparence et action, puisque, en plus, celle-ci vise non pas la volonté, qui est une vraie création filtrante, mais le geste transformateur. | | | | |
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| intelligence | | | Ce n'est pas l'absence de musique, mais sa qualité enfantine, qui caractérise la métaphysique professorale : « Tout ce qui est métaphysique me semble ce qu'il y a de plus léger et devoir être traité à la Rossini » - Valéry. Que le raseur pullule chez les barbiers - pourquoi s'en étonner ! Même chez les bûcherons, un traitement lourd, à la Wagner, n'apporte pas grand-chose à la science de l'impondérable. Et Schopenhauer et Nietzsche, préférant Rossini à Mozart, ne témoignent que de leurs vies inabouties. | | | | |
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| intelligence | | | La représentation est la maîtrise des substances, et la volonté est le reflet des apparences - telle est la banalité pragmatique ; mais pour Schopenhauer, c'est l'inverse : la volonté serait une substance transcendantale et la représentation - une apparence transcendantale. Ces avortons d'adjectifs faussent tant de généalogies. | | | | |
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| intelligence | | | Schopenhauer veut dire que le monde peut être vécu comme un paysage ou comme un climat : soit on le peint dans une représentation (création, savoir, intelligence), soit on s'y peint soi-même (passion, noblesse, musique) ; c'est le recours à la profondeur universelle ou à la hauteur personnelle qui permet de ne pas s'écrouler dans une platitude commune. | | | | |
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| intelligence | | | Une vie d'homme est un arbre, et toute tentative de la résumer en un système philosophique, c'est réduire le chant de cette vie à une langue de bois ou réduire sa solitude primordiale à la monotonie d'une forêt. D'ailleurs, ces fichus systèmes sont, la plupart du temps, plutôt le fruit des pauvres imaginations des scoliastes que des philosophes eux-mêmes. Sauf quelques incorrigibles, tels Spinoza ou Hegel, que Schopenhauer qualifiait, à juste titre, de barbouilleurs logorrhéiques – Zusammenschmierer der Wortgefechte. Les meilleurs ne font qu'illuminer les profondeurs humaines par de hautes étincelles des métaphores. | | | | |
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| intelligence | | | L'invention face à la reproduction, le sacrifice d'un soi si insaisissable face à la fidélité à un soi bien déterminé, - dans cette opposition des poses philosophiques, la première l'emporte largement sur la seconde, en qualité et même en cohérence : il suffit d'imaginer Marc-Aurèle vanter les vertus de la force, ou Montaigne se lamenter sur la souffrance, ou Nietzsche faire l'apologie de la faiblesse, ou Tolstoï se vautrer dans l'érotisme, ou Cioran en appeler au rire ; en revanche, Spinoza, Schopenhauer ou Sartre sont dans leurs soi respectifs, ce qui les rend plus ternes. Je ne connus que deux cas, où l'écrivain et l'homme, tous les deux pleins de noblesse, vécussent main dans la main, regard sur le regard, talent du talent - R.Char et R.Debray. | | | | |
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| intelligence | | | Toutes les activités (intellectuelles, pragmatiques ou sentimentales) se réduisent soit à la représentation soit à l’interprétation. La volonté les accompagne, toutes les deux, dictée, respectivement, par la connaissance, l’intelligence, la curiosité ou par l’intérêt, le goût, le style. Nietzsche appelle cette volonté (de puissance) – réinterprétation (ou retour éternel). Il veut donner à ce devenir (propre de l’interprétation) l’intensité de l’être (propre de la représentation). Plus économe en concepts, Nietzsche est plus complet en éléments dynamiques et créateurs que A.Schopenhauer. | | | | |
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| intelligence | | | Le monde (celui de l’homme, celui que les Allemands appellent Dasein), ce monde est la représentation et l’interprétation. La volonté schopenhauerienne correspond à la représentation du sujet (et de son savoir) en tant que faisceau de modalités – vouloir, pouvoir, devoir – et doit être incorporée à la représentation. | | | | |
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| intelligence | | | Les charlatans du tournant linguistique (y compris Wittgenstein) et les bavards phénoménologiques (y compris Heidegger) méprisent la représentation, la réduisant à la vulgaire technique. Ils ne comprennent pas, que tout souci de l’être et tout langage sont impensables hors d’une représentation, et que le péquenaud ou le savant y font autant appel, seules la profondeur et la rigueur les distinguent. L’ontologie n’est qu’une partie modeste de la représentation, et le langage n’est qu’une grammaire créée par-dessus une représentation. La vraie porteuse du sens et le vrai garant de l’interprétation est la représentation. Schopenhauer fut plus intelligent. | | | | |
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| intelligence | | | La reconnaissance de Nietzsche, par le badaud, est due au malentendu, créé par les nazis, qui tombèrent, chez sur les mots tels que : surhomme, puissance, blonde bête. Le bouseux se flatte d’être pris pour aristocrate. Mais le malentendu avec mes bêtes noires – Descartes, Spinoza, Hegel – est beaucoup plus énigmatique : la platitude du premier, le charabia du deuxième, le galimatias du troisième : « Galimatias primitif, ânerie de Hegel, vilain et niais » - Schopenhauer - « Gallimathias, Rohheit, Unsinn des plumpen und geistlosen Hegel ». | | | | |
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| intelligence | | | La Volonté schopénhauerienne et la volonté de puissance nietzschéenne n’ont pas grand-chose à voir avec le vouloir, elles se concentrent plutôt dans le valoir  : ce que valent (ou sont) les choses (en soi) ou ce que vaut un (sur)homme. | | | | |
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| intelligence | | | Pour reprendre Schopenhauer, je dirais que l’art de représenter le rêve est plus précieux que l’artisanat de manifester sa volonté dans le réel. C’est pourquoi le suicide, résultant d’une forte volonté, est moins méritoire que la résignation de peindre sa faiblesse. | | | | |
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| intelligence | | | Toute représentation (conceptuelle) relève d’un sujet (une personne, une communauté consensuelle) ; cette dépendance est reflétée par la volonté schopenhauerienne. Mais à sa dyade manquent deux éléments – une méta-logique (assurant que la représentation, pour le même sujet, est non-contradictoire) et un langage (se plaquant sur la représentation). Quant au contenu d’une représentation, Schopenhauer, comme, avant lui, Aristote et Kant, reste dans le flou de la vague causalité, qui est une relation protéiforme et banale, sans rien d’universel. Quelles connaissances représente-t-on ? - les structurelles (classes/éléments, réseaux sémantiques, scènes d’acteurs), les descriptives (attributs, propriétés de concepts, dont des aspects langagiers, lexicaux et syntaxiques), les comportementales (règles déductives et événementielles, scénarios). C’est la démarche de l’IA. | | | | |
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| intelligence | | | Pour résumer l’essence du monde, Schopenhauer a raison de mettre en avant la représentation, tandis que Nietzsche s’égare, en lui préférant l’interprétation. Et c’est la place, qu’ils accordaient au langage, qui explique la clairvoyance du premier et l’incompréhension du second. Le langage ne fait que s’attacher à une représentation existante, ce n’est pas l’inverse, ce n’est pas le mot (ni phonétique ni lexical) qui engendre le concept, comme le pense Nietzsche : « Le concept n’apparaît d'abord que par le son » - « Der Begriff ist am Laut erst entstanden ». | | | | |
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| lichtenberg g. | | | Nicht zu sagen Hypothese, noch weniger Theorie, sondern Vorstellungsart.
Ne parle pas d'hypothèses, encore moins de théories, mais de mode de représentation. | | | | |
| | intelligence | | | Tout raisonnement n'est peut-être que des enchaînements de représentations (« La pensée est une représentation » - Heidegger - « Der Gedanke ist eine Vorstellung »). Ou, au contraire, toute représentation n'est que résultat des réinterprétations volontaristes (comme le pense Nietzsche, et que Schopenhauer oublie d'ajouter à volonté et représentation) ; la volonté arbitraire et la représentation fatale se courent derrière : « Le destin fut impérieux avec moi, mais plus impérieuse encore fut ma volonté » - Nietzsche - « Das Schicksal war herrisch zu mir, aber herrischer war mein Wille ». Un trait subtil, représenter les mondes hypothétiques, où germent la volonté de renaissance et la représentation de commencements. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Daß die niedrigste aller Tätigkeiten die arithmetische ist, wird dadurch belegt, daß sie die einzige ist, die auch durch eine Maschine ausgeführt werden kann. Danach bemesse man den mathematischen Tiefsinn.
Que la plus basse des facultés est l'arithmétique, se confirme par le fait qu'elle soit la seule à être reproduite par la machine. Voilà la prétendue profondeur de la pensée mathématique. | | | | |
| | intelligence | | | Aucune matière, de versification à théologie, n'échappe plus à la machine, comme jadis à la plume. Il s'agit d'avoir une bonne hauteur de plume et de ne pas être terrorisé par la profondeur des porte-plumes. La mathématique a l'avantage de ne manipuler que des objets-fantômes, avec des outils divins. | | | | |
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| ironie | | | Le bonheur s'achèterait donc en liquide : « Le rire est la vraie monnaie du bonheur, tandis que tout le reste n'est qu'un chèque » - Schopenhauer - « Die Heiterkeit ist gleichsam die bare Münze des Glückes und nicht, wie alles andere, bloß ein Bankzettel ». Étant plutôt une promesse qu'un vulgaire transfert, le bonheur se métamorphoserait plus volontiers dans un chèque sans provision. | | | | |
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| ironie | | | L'ironie est, avant tout, question d'imagination et de puissance - savoir recréer ses propres saisons d'âme, que ce soit dans des ténèbres boréales ou sous un soleil de Midi. Quand on en manque, on est soit un mouton, subissant le calendrier commun, soit un robot, optimiste ou pessimiste, - vivant dans le meilleur (Leibniz) ou dans le pire (Schopenhauer) des mondes. | | | | |
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| ironie | | | C'est la nature et non pas la culture qui aurait dû octroyer le titre (et non pas le grade) de philosophe : « Une telle vocation ne peut être statuée que par la nature et non pas par un Ministère » - Schopenhauer - « Einen solchen Beruf kann nur die Natur und nicht aber das Ministerium erteilen ». | | | | |
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| ironie | | | Implicitement, et peut-être inconsciemment, Schopenhauer voulut défendre le rêve, puisque tout en réduisant la réalité humaine à la volonté et à la représentation, il prône la non-volonté et montre son désintérêt pour toute représentation savante. | | | | |
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| ironie | | | Les sophismes amusent, les dogmes intriguent – les seconds sont plus durables, et le dogmatisme immanent de Schopenhauer est plus prometteur que la sophistique transcendantale de Kant. | | | | |
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| ironie | | | Quand tu ne t’occupes que de l’esprit (la représentation calculante) et des muscles (la volonté agissante), tu peux clamer, objectivement et bêtement, que ta philosophie se passe de consolations (Schopenhauer - « meine Philosophie ist trostlos »). Heureusement, il existent aussi une représentation palpitante et une volonté désirante, qui n’ont qu’une seule protectrice – la consolation. | | | | |
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| ironie | | | L’ironie et la pitié animent la réalité ; l’intensité et la noblesse animent le rêve. Nietzsche, homme du rêve, intense et noble, s’éloigne de Wagner, puisque celui-ci ignore l’ironie en tout, y compris dans le rêve ; il s’éloigne de Schopenhauer, puisque celui-ci penche pour la pitié, aux dépens du rêve. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Versteckt nun aber der Scherz sich hinter dem Ernst, so entsteht die Ironie.
L'ironie naît, lorsque le plaisant se cache derrière le grave. | | | | |
| | ironie | | | Volé chez Cicéron. L'ironie n'est qu'une forme, pour accéder au contenu, dont on ignore les chemins d'approche droits et en dessine des obliques. | | | | |
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| mot | | | Le sort comique du mot absolu, dans la philosophie européenne (ein Kabinettstück für Philosophieprofessoren - Schopenhauer). Pauvre Dieu spinoziste, enseveli sous une double couche d’absurdités – substance absolue. Pauvre savoir absolu Kant, réduit à ce qui est inconditionnel (inexistant dans la représentation, ce seul support de tout savoir), au savoir apriorique, dont la formule 5 + 7 = 12 exprime la quintessence. C’est de la misère, mais avec Hegel ce sera de l’indigence. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Das eigentliche Leben eines Gedankens dauert nur bis er an den Grenzpunkt der Worte angelangt ist.
La vie propre d'une pensée dure jusqu'à ce qu'elle ait atteint le point-limite des mots. | | | | |
| | mot | | | Elle s'imagine, que les mots ne cherchent qu'à l'épuiser, tandis que ceux-ci se soucient davantage de ciselage de cuillères que de grattage de casseroles. Écoutez le passage des auteurs chargés de pensées… L'artiste change de cuillère non pas aux arrivages de pensées nouvelles, mais bien à la naissance d'un nouvel appétit. | | | | |
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| noblesse | | | L'aristocratisme n'est possible que si le mépris trouve une forme d'expression qui ne soit pas ridicule. Peut-on imaginer un aristocrate américain ? « Les véritables plébéiens du monde, ce sont les Américains » - Schopenhauer - « Die Amerikaner sind die eigentlichen Plebejer der Welt ». L'avenir appartient à une société sans barrières, à la société horizontale, à la platitude tolérante et aimable. | | | | |
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| noblesse | | | N'importe quel imbécile peut se mettre face au jargon, au savoir, à la force et les défier, mais toute nuisance serait annihilée par l'insensibilité des puissants. En revanche, la hauteur, la noblesse, la faiblesse sont vulnérables ou pitoyables devant les attaques de la vulgarité : « La grossièreté vient à bout de toute raison et désarme tout esprit » - Schopenhauer - « Die Grobheit besiegt jedes Argument und verscheucht allen Geist » - quoiqu'il y faudrait parler de l'âme et du rêve. | | | | |
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| noblesse | | | En remontant aux causes premières, à partir même du plus profond de nos embrasements, nous tombons, immanquablement, tôt ou tard, sur un leurre, ce punctum pruriens (Schopenhauer) de toute pensée : « Dès qu'on insiste un peu, c'est le vide » - Céline. Ne pas insister n'est pas glorieux : « Ce n'est qu'un esprit peu exigeant qui se contente de peu. Un sot serait-il un sage ? » - Valéry - puisque, d'après Horace, ne pas le savoir, c'est vivre en esclave. | | | | |
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| noblesse | | | Même la sagesse de la vie peut se formuler en tant que solution - en évaluer le prix, en tant que problème - réfléchir sur sa valeur, en tant que mystère - vibrer de son intensité (Nietzsche, la finalité), de ses vecteurs (R.Debray, les moyens) ou du vertige de sa hauteur (moi, la contrainte). La plupart des sages s'arrêtent à mi-chemin : « Si tu veux, que la vie te sourie, tu dois la doter d'un bon prix » - Goethe à Schopenhauer - « Willst du dich des Lebens freuen, so musst der Welt du Werth verleihen ». | | | | |
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| noblesse | | | L’esprit sobre ne peut être que négateur. Pour dire oui au monde, on a besoin d’ivresse ou de folie ; l’âme et le cœur en sont porteurs permanents, tandis que l’esprit doit en être contaminé ; ce retournement de la volonté et de la représentation portera le nom de noblesse, complétant ainsi la dyade schopenhauerienne. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Einige Menschen können jedes Gut verachten, sobald sie es nicht haben, andere nur, wenn sie es haben. Letztere sind unglücklicher und edler.
Certains méprisent la chose, car ils ne l'ont pas ; d'autres, seulement s'ils l'ont. Les derniers sont plus malheureux et nobles. | | | | |
| | noblesse | | | Malheur des envieux, malheur des repus - même vétilleux combat. On ne doit mépriser l'avoir, que s'il prétend avoir partie liée avec l'être. Ne pas le mettre en valeur, cacher son prix : « Ne pas avoir, tout en étant à portée de l'avoir » - Heidegger - « Nichthaben im Habenkönnen » - voilà de la jonglerie verbale au service de la noblesse modale. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Ein guter Vorrat an Resignation ist überaus wichtig als Wegzehrung für die Lebensreise.
Une bonne réserve de résignations est une nourriture vitale pour la traversée de la vie. | | | | |
| | noblesse | | | Aucun chameau n'emporterait ce que j'engrange dans les ruines de ma tour d'ivoire. Le complice de la résignation s'appelle l'art. | | | | |
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| proximité | | | Le nihilisme, et non pas l'athéisme ou le panthéisme, est le véritable antagoniste de la vraie foi. Celle-ci explique les origines et déduit les fins ; le nihilisme, c'est la libre sophistique des sources et la libre dogmatique des finalités, la vénération et l'espérance ne découlant pas du passé et n'étant pas tournées vers l'avenir, mais remplissant le présent plein de magie. Le nihilisme est le fond altier de la foi, comme le panthéisme est « la forme altière de l'athéisme » - Schopenhauer - « die vornehme Form des Atheismus ». | | | | |
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| proximité | | | On se rapproche par l'intérêt qu'on porte aux mêmes objets ; on se fraternise par l'intensité et la noblesse de relations entre objets. Nietzsche tombe sur la volonté et la puissance, chez Schopenhauer et Spinoza, mais la volonté du premier se forge dans le ressentiment (et non pas dans l'acquiescement nietzschéen), et la puissance du second s'attache à un esprit du savoir (et non pas sur l'âme du valoir nietzschéen). Et Nietzsche finit par se détacher de ses faux ancêtres (comme Valéry – de Descartes, avec sa méthode). | | | | |
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| russie | | | Souvent, on voit en Berdiaev, Chestov, V.Rozanov - des nietzschéens, tandis qu'ils sortent tout droit de Dostoïevsky, comme d'ailleurs Nietzsche lui-même, qui est mi-Français mi-Russe ; il méprisa et la lourdeur et les thèmes de Kant, Hegel, Schopenhauer, en prenant Voltaire et Stendhal pour modèles de l'esprit ; il puisa ses images centrales - la pureté s'empiégeant dans le péché, le surhomme, l'au-delà du bien et du mal - dans Dostoïevsky. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Der eigentliche Fehler der Deutschen ist, daß sie, was vor ihren Füßen liegt, in den Wolken suchen.
L'erreur de l'Allemand est de chercher dans les nues ce qui se trouve sous ses pieds. | | | | |
| | russie | | | L'erreur du Russe est de chercher à donner un coup de pied à tout ce qui se trouve dans les nues. La bêtise décroît selon l'axe : la main, les yeux, le regard. Toutefois, comparez avec des sots trouvant sous leurs pieds, aux lieux de messe, les promesses des cieux. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Bei den Russen, herrscht das Moll vor.
Chez les Russes, c'est le bémol qui domine. | | | | |
| | russie | | | La vraie vie comme la vraie littérature sont tout de musique ; le ton mélancolique a plus de chances de nous parler du beau et du bon que le ton jovial. Quant au vrai, même un langage informatique y suffit. | | | | |
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| solitude | | | Abandonnant un pessimiste, abandonné par un optimiste, l’axiologue Nietzsche se retrouve seul. Sur le même axe d’acquiescement, je fus toujours et je reste seul ; mon Schopenhauer et mon Wagner s’incarnèrent dans une même personne, optimiste à ses débuts et pessimiste sur la fin, qui préserva ma solitude non pas par abandon advenu mais par distance entretenue. Sans cette solitude je n’aurais pas pu écrire des livres, dont je peux, aujourd’hui, dire qu’« Il n’existe nulle part des livres d’une espèce plus fière et plus raffinée » - Nietzsche - « Es gibt durchaus keine stolzere und raffiniertere Art von Büchern ». Seulement, à la place de force et cynisme déclamatoires je mets la faiblesse fière et le nihilisme raffiné. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Unser größtes Vergnügen besteht darin, bewundert zu werden ; so ist der Glücklichste der, welcher es dahin gebracht hat, sich selbst aufrichtig zu bewundern.
Le plaisir le plus fort est d'être admiré ; donc l'homme le plus heureux est celui qui est parvenu à s'admirer sincèrement. | | | | |
| | solitude | | | Même si cette admiration est d'invention et non pas de sincérité, tout bon Narcisse se trouve ainsi en compagnie d'une beauté secrète, qu'il est le seul à posséder. Que le soi serve de souffle pour entretenir notre flamme ou d'aliment pour en préserver la pureté ; que les autres ne soient qu'excitants ou stimulants. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | In der Einsamkeit fühlt der Jämmerliche seine ganze Jämmerlichkeit, der große Geist seine ganze Größe, kurz : jeder sich, als was er ist.
Dans la solitude, le misérable vit sa misère, le grand esprit sa grandeur ; bref, chacun ce qu'il est. | | | | |
| | solitude | | | Pour tout cela suffit la foire ! La vraie solitude commence, quand on perd toute mesure soi connu, sa misère égalant sa grandeur, et quand le soi inconnu t'écrase ou te soulève par ses mesures abyssales ou ailées. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Wer die Einsamkeit nicht liebt, der liebt auch nicht die Freiheit.
Qui n'aime pas la solitude, n'aime pas la liberté non plus. | | | | |
| | solitude | | | Je hais la solitude, j'exècre votre liberté, qui ne remarque que la force brute, la seule qui puisse faire aimer la solitude. Il faut mobiliser toutes les ressources de notre faiblesse, pour vivre de la soif, près d'une bonne fontaine. La soif assouvie, tous se lamentent de solitude, tout en se gobergeant dans leurs dîners en ville. | | | | |
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| souffrance | | | L'acquiescement au monde ou la résignation d'y échouer, ces deux apparentes antinomies, en se solidarisant, deviennent deux facettes d'une même tragédie ; donc, Nietzsche, la-dessus, n'est qu'un prolongement de Schopenhauer. | | | | |
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| souffrance | | | Toute lutte finit par dévitaliser un peu davantage notre esprit ; la résignation schopenhauerienne et la vitalité nietzschéenne ne s'opposent guère et, souvent, l'une aboutit à l'autre, pour donner naissance à une tragédie. | | | | |
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| souffrance | | | Les meilleurs chantres de la souffrance s'adonnaient aux investissements commerciaux, aux vertus civiques, aux dîners en ville, aux casinos (Schopenhauer, Kierkegaard, Flaubert ou Dostoïevsky). En revanche, aucune ombre des barreaux ou des tortures, chez R.Debray, qui les a pourtant si bien connus, mais qui ne peint que la noblesse et la fraternité (et qu'il ne doit pas croiser si souvent que ça). On n'est artiste que dans l'inventé. | | | | |
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| souffrance | | | L'excès de pessimisme donne des ailes à ma révolte, l'excès d'optimisme m'enfle de résignation, celle de prendre un stylo pour me dégonfler. Les deux ne sont que deux figures du nihilisme, aux saisons différentes. La révolte est comique et la résignation - tragique : « La vie est indigne de notre attachement : l'esprit tragique conduit à la résignation »*** - Schopenhauer - « Das Leben ist unserer Anhänglichkeit nicht werth : der tragische Geist leitet zur Resignation hin » - mais toi, qui ne connus jamais le vrai Dionysos, tu ne comprenais pas, que la résignation devant la vie pouvait signifier révolte du rêve, ce que comprit Nietzsche. | | | | |
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| souffrance | | | Face à la tristesse, tout homme songe à la consolation : Schopenhauer la méprise, Kierkegaard la refuse, Nietzsche l'invente. Est philosophe celui qui sache concilier ces trois attitudes. | | | | |
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| souffrance | | | Spinoza et Leibniz se rangent du côté du bonheur et de la joie, Schopenhauer et Kierkegaard – du côté de la souffrance et du désespoir, Heidegger et Cioran – du côté de l’ennui et de l’extase, mais seul Nietzsche parvient à joindre ces deux bouts, que couronne l'intensité de la vie et de l'art, l'éthique cédant place à l'esthétique. Le fond de la vie est bien animé par le bien, mais c'est le beau qui en crée la forme - l'art. | | | | |
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| souffrance | | | Plus de savoir ne promet que plus de désespoir ; mais plus de hauteur signifie toujours plus de souffrance. « Plus haut est un être, plus profonde sera sa douleur »* - Schopenhauer - « Je höher ein Wesen ist, um so tiefer muss es das Leid empfinden » - elle est toujours une pesanteur et jamais – une grâce. | | | | |
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| souffrance | | | Nietzsche définit bien la tragédie : « Les regards de ma jeunesse et mes mystères les plus chers, c’est vous qui les massacrèrent »** - « Mordetet ihr doch meiner Jugend Gesichte und liebste Wunder », mais se trompe d’assassin, qui n’est ni Wagner ni Schopenhauer, mais le poids du réel. | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Jedes einzelne Unglück erscheint zwar als eine Ausnahme ; aber das Unglück überhaupt ist die Regel.
Chaque malheur particulier semble être une exception, mais le malheur général est la règle. | | | | |
| | souffrance | | | Tandis qu'un bonheur particulier semble être prévu par une règle divine, mais le bonheur universel, prédit par Marx, est ubuesque. L'uniformité du bonheur (par exemple, du bonheur familial, pour Tolstoï), face au malheur protéiforme, si docile sous la plume des acariâtres. Un bonheur – trouver une forme heureuse – au fond malheureux. | | | | |
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| vérité | | | Trois critères de la vérité totalement disjoints : pendant la création du modèle (le libre arbitre), dans la démonstration des requêtes du modèle (la logique), la confrontation des réponses aux requêtes avec la réalité (le sens). Postulat, preuve, adéquation. Le bon Arthur confond les deux premiers, en dénonçant l'erreur, que toute vérité repose sur une preuve (jede Wahrheit wird durch Beweise mitgetheilt, ce qui est pourtant vrai pour le deuxième critère), et en affirmant, que toute vérité s'appuie sur une vérité indémontrée (jeder Beweis bedarf einer unbewiesenen Wahrheit, ce qui n'est vrai que pour le premier critère). | | | | |
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| vérité | | | Le vrai est recherché puisqu'il est utile et rassurant ; le non-vrai, c'est à dire le rêve, est désiré, même inutile et inquiétant. Schopenhauer aurait dit que le premier relève de la volonté réelle et le second - de la représentation imaginaire. | | | | |
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| vérité | | | En n'empruntant que les chemins de la vérité, on est sûr de déboucher au pays du désespoir. Et Schopenhauer : « Pas de consolation dans ma philosophie, car je n'énonce que la vérité » - « Meine Philosophie sei trostlos, weil ich nach der Wahrheit rede » - a raison. Les rêves ne conduisent que vers des impasses, où scintillent les étoiles et les espérances, les hauts arcs en ciel et les noirceurs profondes. La vérité seule ne promet que la plate grisaille. | | | | |
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| vérité | | | Le regard est créateur de représentations, donc - de modifications du langage, donc – de nouvelles vérités. « Le regard est le noyau de tout savoir, et toute nouvelle vérité en est l’exploitation »* - Schopenhauer - « Der Kern jeder Erkenntnis ist eine Anschauung ; auch ist jede neue Wahrheit die Ausbeute aus einer solchen ». | | | | |
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| schopenhauer a. | | | Optimismus ist ein Grundirrtum, der aller Wahrheit den Weg vertritt.
L'optimisme est une erreur fondamentale, qui barre le chemin à toute vérité. | | | | |
| | vérité | | | Le pessimisme a beau jeu de le présenter grand ouvert, mais au bout, c'est toujours la même surprise - un mirage. L'optimisme garantit une arrivée pessimiste, le pessimisme peut rendre le parcours optimiste. Affaire d'un héroïque effort de volonté ou de représentation. « L'optimisme est volonté, alors que le pessimisme est connaissance claire » - Bachelard. | | | | |
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