| action | | | Dans la sphère des idées, comme dans celle des actes, leur portée est souvent mesurée par ce qu'on n'a pas fait. La métrique des forces inemployées. Selon S.Weil, ceci s'applique non seulement au mystère, mais aussi au problème : « Quoi de plus sot que de raidir des muscles à propos de la solution d'un problème ». | | | | |
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| action | | | Le mobile de l'action est comme l'étymologie du mot - plus intéressant que la chose, mais sans aucun droit discriminatoire. « L'énergie, qui n'est fournie par aucun mobile, est seule bonne »* - S.Weil. Comparez les dernières paroles du Christ et de Mahomet : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font » et « Que la malédiction d'Allah soit sur les juifs et chrétiens, car ils ont établi… ». | | | | |
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| action | | | La lumière cynique de l'être projetant de belles ombres du faire - Pythagore ou Diogène ; la lumière héroïque du faire invoquant d'humbles ombres de l'être - R.Debray ou S.Weil ; les ombres honteuses du faire se désolidarisant des ombres piteuses de l'être - Rousseau ou Tolstoï. Trois manières de prouver sa noblesse : esthétique, mystique, éthique - faire briller, brûler, être brillant. | | | | |
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| action | | | L'action, c'est la victoire de la pesanteur, et toute pesanteur est un mal. Et qu'est-ce que la victoire de la grâce ? - un sacrifice, ce qu'aurait dû être « la justice, cette fugitive du camp des vainqueurs » - S.Weil. | | | | |
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| action | | | Les plus belles pensées sont immobiles, elles s'identifient à l'être intemporel ; les pensées mobiles servent à justifier le devenir de l'action. « Il faut des mobiles de l'activité, qui échappent aux pensées, donc aux relations : des idoles » - Weil S.. La pensée figée prend irrémédiablement l'allure d'idole, car elle abandonne les relations au profit des objets. | | | | |
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| action | | | Le seul moyen de préserver la pureté du Bien intouchable est de renoncer à toute action en sa faveur : « La purification est la séparation du Bien et de sa convoitise »*** - S.Weil. | | | | |
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| amour | | | Dante est dans le regard, Béatrice est dans la hauteur. « L'éternel Féminin nous aspire vers le haut » - Goethe - « Das Ewig-Weibliche zieht uns hinan ». Élever son regard devient question de conservation de l'espèce : « Psyché est fécondée par le regard d'Éros » - Salomé. Heureusement, le vrai regard a une bonne source : « L'amour est le regard de l'âme »*** - S.Weil. | | | | |
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| weil s. | | | L'amour n'exerce ni ne subit la force ; c'est là l'unique pureté. | | |  | |
| | amour | | | Il a assez de mercenaires fanatiques, qui se souillent pour lui, avec délices. | | | | |
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| weil s. | | | Aimer un étranger comme soi-même implique comme contrepartie s'aimer soi-même comme un étranger. | | |  | |
| | amour | | | Plus on comprend, qu'on n'est pas un automate, plus on s'éloigne de soi-même, pour s'identifier avec son soi inconnu, et donc plus on a de chances de s'aimer. S'aimer, c'est se découvrir comme un étranger, qui nous dépasse et nous surclasse. | | | | |
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| weil s. | | | Aimer purement, c'est consentir à la distance. | | |    | |
| | amour | | | Aimer de l’âme, c’est se toucher par deux lointains. Aimer de la chair, c’est la possession ou l’abandon, c’est la proximité se faisant fusion. L’intensité de l'amour croit avec la distance des âmes, et entretenir cette pure soif est plus désirable que d’assouvir celle, sombre, des corps. | | | | |
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| art | | | Une œuvre est grande, si l'auteur y est invisible (Flaubert), ou si derrière le dramaturge visible transparaît un démiurge anonyme (S.Weil). Un anonymat partiel étant inévitable, je chercherais à le réduire à la seule langue visible et à l'exclure du message invisible. Plus l'auteur s'émancipe de son œuvre, plus l'œuvre fuit devant son créateur. « Les plus ardentes ambitions sont celles qui ont eu l'orgueil de l'Anonymat » - Modigliani. | | | | |
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| bien | | | Comme la poésie nous soulève par son inspiration de l'inexprimable, le Bien nous touche par la conscience de sa propre impossibilité, ou plutôt de celle d'émaner de nous-mêmes : « le Bien réel ne peut venir que du dehors, jamais de notre effort » - S.Weil. Nous ne pouvons irradier que la pitié : « La pitié est un retour vers nous-mêmes »** - La Bruyère. | | | | |
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| bien | | | Le choix est entre faire, extérieurement, le Bien, en consolant un malheureux ou en le libérant d’une souffrance, ou être, intérieurement, dans le Bien, par le frisson ou la honte. Plus pur on est, plus radicalement se pose ce choix : « Dans tous les problèmes poignants, il y a le choix seulement entre le Bien surnaturel et le mal » - S.Weil. | | | | |
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| bien | | | Le Bien se reconnaît mieux dans le hasard de mes états d'âme que dans les règles de mon esprit. « Le Bien et le mal c’est l’harmonie du hasard et du Bien » - S.Weil, tout en sachant que le Mal niche dans tout hasard des actes. | | | | |
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| bien | | | Ce qui est sacré est toujours collectif : or, le beau et le vrai sont essentiellement personnels. Il ne reste que le Bien qu’on partage entre frères ou fanatiques. « Le Bien est la seule source du sacré » - S.Weil. | | | | |
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| weil s. | | | Le bien s'opposant au mal est un bien de code pénal. Le mal nie le Bien. Mais il le nie mal. | | | | |
| | bien | | | Le Bien ne nie bien le mal qu'en lui abandonnant le terrain des affirmations et des négations. Le seul Bien, légèrement perceptible, est peut-être dans l'acte, qui refuse de se laisser évaluer. | | | | |
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| weil s. | | | Est bien ce qui donne plus de réalité aux êtres et aux choses, mal ce qui leur en enlève. | | | | |
| | bien | | | Ce qui suppose que le chemin, qui mène à la perfection, soit droit, ce qui messied à mon doute capricieux. Mais peut-être s'agit-il là d'une modulation de chemins obliques ? Le Bien serait-il parfaite et droite impuissance ? « Diable, c'est puissance oblique » - Alain. | | | | |
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| weil s. | | | Le Bien est un néant, qui n'est pas irréel. Tout ce qui existe, comparé à lui, est irréel. | | | | |
| | bien | | | Est irréel ce qu'aucune attention n'approfondit, sans changer d'objet. Le néant du Bien, en revanche, est source de transfigurations en interne. | | | | |
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| weil s. | | | Le désir de Bien infini n'a d'objet que hors de ce monde. | | |   | |
| | bien | | | C'est là où gît le projet divin, l'homme. Mais le prince de ce monde se contente du Bien fini, incarné dans des objets et détaché du sujet. | | | | |
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| weil s. | | | L'homme voudrait être égoïste et ne peut pas. C'est le caractère le plus frappant de sa misère et la source de sa grandeur. | | |  | |
| | bien | | | Les sources divines, celles, auprès desquelles on meurt de soif, et qui portent les noms de bon, de beau et de vrai. | | | | |
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| cité | | | Quels couples pathétiques engendra l'antisémitisme ! Deux grandes Juives, Arendt et S.Weil, admirées par deux grands hommes, proches des nazis, Heidegger et G.Thibon ; un grand Juif, Celan, aimé passionnément par une Aryenne, fille des nazis, I.Bachmann. Et le suicide comme la plus probable des perspectives des survivants d'Holocauste. | | | | |
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| cité | | | Finis, les avenirs aux sommets radieux ; une immense platitude transparente nous y attend. Désormais, seul le passé « peut nous tirer vers le haut, ce que l’avenir ne fait jamais »** - S.Weil Toutefois, même si l’on nous tire vers le haut, nous ne pouvons qu’y tendre, immobiles, comme vers une limite inaccessible. | | | | |
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| doute | | | Dans la réalité il n'y a que matière et esprit ; les deux questions correspondantes, à l'origine des sciences et de l'art - pourquoi la pesanteur ? pourquoi la grâce ? - se rencontrent, curieusement, chez S.Weil. | | | | |
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| doute | | | Les étapes d'approfondissement, aboutissant à l'illusion du soi : je n'affirme pas ce que je suis ; je ne suis pas ce que j'affirme ; le Je et le Moi sont identiques et également inapprochables. Et si « être un homme, c'est savoir distinguer son Je et son Moi » (S.Weil), l'homme est un fieffé illusionniste ! | | | | |
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| doute | | | L'esprit de suite est bon pour l'ingénieur et néfaste pour le poète. Le rêve n'est traduisible qu'en pointillé, les actes remplissent des chaînes. Je connais les autres par la mémoire en continu et je me découvre moi-même dans l'oubli des traces. Répète la noble prière de S.Weil : « Que je sois hors d'état d'enchaîner par la moindre liaison deux pensées »**. J'aime la raison qui prie et la foi qui lie. | | | | |
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| hommes | | | Il faut s'en prendre aux personnes et non aux causes. L'homme, ce sont ses métaphores hérissées de vie (« transformer la vie quotidienne en une métaphore à signification divine »** - S.Weil) ; les causes, elles, sont de la géométrie ne méritant ni passion ni défi. | | | | |
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| hommes | | | Quand je vois leur certitude impardonnable de vivre un enfer, je pardonne à ceux qui vivent de « l'illusion du paradis » (S.Weil). | | | | |
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| hommes | | | Depuis que les programmes échiquéens battent l'humain, champion du monde, on sait ce qui attend le mathématicien : la machine le surclassera ; c'est la seule raison qui me fait croire, que le poète retrouvera, un jour, son prestige d'antan. « L'argent, le machinisme, l'algèbre, les trois monstres de la civilisation actuelle »* - S.Weil - les trois robots qu'ils seront devenus, au milieu des robots humains pleurant les muses disparues. | | | | |
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| hommes | | | Le romantisme et son support, l’âme, sont les premières victimes de l’américanisation de l’Europe. S.Weil le savait, mais qui, aujourd’hui, l’écouterait ? | | | | |
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| weil s. | | | La science ne présente que trois intérêts : 1. les applications techniques ; 2. jeu d'échecs ; 3. chemin vers Dieu. | | | | |
| | hommes | | | Les techniciens et les échéphiles finirent par usurper cette voie qui, devenue trop large, n'a plus de portes étroites qui, seules, mènent à Dieu. | | | | |
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| weil s. | | | Tout vide non accepté produit de la haine. | | |   | |
| | hommes | | | Voilà pourquoi ce monde a l'air si débonnaire, il est bourré de tant de choses inélastiques, apportées par notre moi inférieur. L'amour naît d'un vide appelé par notre moi supérieur. | | | | |
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| weil s. | | | La chair dit je ; le diable dit nous. | | | | |
| | hommes | | | Le diable, de naïf et totalitaire, devint retors et démocrate : tous, désormais, s'égosillent - je, je, sans se douter, qu'ils traduisent ainsi, de plus en plus fidèlement, le nous diabolique. Le nous fraternel reste à découvrir, question du bon choix de frontières. | | | | |
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| novalis f. | | | Je reiner der Geist ist, desto heller, feuriger das Leben.
Plus pur est l'esprit, plus lumineuse et plus ardente sera la vie. | | |  | |
| | intelligence | | | L'esprit ne fait que choisir les matières, dont se nourrit mon feu sténophage, les lumières, que refléteront mes ombres, et le lieu, où seront déposées mes cendres. C'est l'esprit qui procure aliments et excitants, pour que mon feu intérieur soit pur et mes ombres extérieures - puissantes. De la rencontre, impossible sur Terre, de la pureté et de l'intensité naît la hauteur ; sur Terre, on dit : « Qu'y a-t-il au monde de plus contraire à la pureté ? La recherche de l'intensité » - S.Weil. | | | | |
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| weil s. | | | L'intelligence ne peut jamais pénétrer le mystère, mais elle peut et peut seule rendre compte de la convenance des mots, qui l'expriment. | | | | |
| | intelligence | | | L'intelligence est dans la qualité du dialogue entre le mystère et le modèle. Les mots sont une navette intelligente. | | | | |
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| weil s. | | | L'intelligence n'a rien à trouver, elle a à déblayer. | | | | |
| | intelligence | | | L'intelligence, en quête de trouvailles, creuse le sol ou scrute le ciel. Elle déblaie les solutions, érige les problèmes, sanctifie les mystères. Pour chaque trésor trouvé et engrangé, elle rédige les titres de propriété, dont profite aussi, hélas, la bêtise. | | | | |
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| weil s. | | | Le monde est un texte à plusieurs significations, et l'on passe d'une à l'autre comme lorsqu'on apprend l'alphabet d'une langue étrangère. | | |   | |
| | intelligence | | | Au-dessus du monde l'âme en bâtit un modèle. Ce modèle sous les yeux, l'intelligence construit un langage. La perfection, la représentation, la communication. La bêtise répandue, c'est attribuer à la dernière les mérites des deux premières. | | | | |
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| weil s. | | | Une pensée nouvelle en philosophie ne peut guère être qu'un accent nouveau d'une pensée antique. | | | | |
| | intelligence | | | L'Antiquité nous a munis de mesures et de thèmes, mais dans une partition vitale, dans une véritable musique, ce qui compte ce sont les accents, ces cordes vibrantes, nouvellement tendues, d'une voix inimitable. Le sens de la vie, s'il existe, ne peut être que sa mélodie, sa hauteur ou son harmonie, qui ne sont pensables que dans le présent. | | | | |
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| weil s. | | | L'incompris cache l'incompréhensible, et pour ce motif doit être éliminé. | | | | |
| | intelligence | | | L'intelligence est bien ce chiffon, qui nettoie la vitre en deçà de notre transparence. L'incompréhensible est non seulement au-delà de la vitre, mais il n'y colle pas. | | | | |
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| ironie | | | Les points de chute se trouvent, d'habitude, dans la platitude ; la fausse fierté de te dire, que là où s'élèvent des monts majestueux s'ouvrent aussi des précipices, ne doit pas t'illusionner. La montagne ou l'arbre, le vertige ou la fleur, la lumière ou l'ombre. Le danger est dans le refus des ailes ou dans le poids des semelles (la grâce ou la pesanteur ascensionnelles - S.Weil). La chute sous un arbre peut être plus ample que dans un précipice. Et plus instructive. Ce qui attire vers la montagne, c'est son peu de routes. | | | | |
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| ironie | | | L’algèbre fut mon métier ; l’ordinateur – mon outil ; l’argent – ma bouée de sauvetage. Je serais un triple monstre : « Argent, machinisme, algèbre ; les trois monstres de la civilisation actuelle » - S.Weil. | | | | |
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| weil s. | | | Être enraciné dans l'absence de lieu. | | |   | |
| | ironie | | | Qui va de soi pour un déraciné de la présence de temps. À l'opposé, on sait où mène la présence du sol, la Bodenständigkeit, ce misérable dépositaire de l'insaisissable être (die Beschränkung des Seins auf Anwesenheit - Heidegger). | | | | |
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| mot | | | Inévitablement, il nous arrive de nous sentir esclaves du langage ; le bon écrivain s'insurge et renverse les rôles, pour en devenir maître. C'est pourquoi « la vérité m'appartient » (Pascal - je possède le langage !) est plus fier que j'appartiens à la vérité (S.Weil - le langage me possède !), malgré les apparences. | | | | |
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| noblesse | | | L'histoire de l'Humanité rêveuse - transport de l'impossible dans les sphères du possible. L'histoire de l'Homme-rêveur - l'inverse, la décréation : « faire passer du créé dans l'incréé »** - S.Weil. | | | | |
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| noblesse | | | Le but de l'existence : sur cette terre, bâtir la demeure pour mon âme, qui y descendit Dieu sait d'où. « Amener l'âme à se sentir chez elle dans son exil » - S.Weil. Et puisque mon âme me conjure à suivre mon étoile, l'architecture des ruines, au toit percé et ouvert au ciel, paraît être la mieux adaptée. Mais sur papier, ces ruines seront dessinées sous forme d'une tour d'ivoire, aux vastes souterrains. | | | | |
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| noblesse | | | Il y a en nous des pulsions inanoblissables, auxquelles il vaut mieux céder, pour ne pas abaisser notre pouvoir anoblissant. « Que ce qui en nous est bas aille vers le bas, afin que ce qui est en haut puisse aller vers le haut »* - S.Weil. | | | | |
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| noblesse | | | Combler le vide est une banalité, son entretien en état de béatitude est plus prometteur et même vital ! Le vide sacré se forme du déchirement entre le mouvement centripète de l'affirmation et celui, centrifuge, de l'(ab)négation, - « sibi vacare » (Sénèque). « Tous les péchés sont des tentatives de combler le vide. Aimer la vertu signifie supporter le vide »**** - S.Weil. La grâce ne touche qu'une âme désencombrée. | | | | |
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| noblesse | | | La pesanteur m’attache à la terre ; la grâce me fait tendre vers le ciel. Celui qui en assure le mieux l’équilibre, c’est l’arbre : « L’arbre est enraciné dans le ciel » - S.Weil. | | | | |
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| noblesse | | | Toute âme noble a besoin de faire des sacrifices. Les plus chanceux – Kierkegaard, Nietzsche, S.Weil, Cioran – n’avaient rien à sacrifier aux autres, ce qui les obligeaient à chercher des sacrifices devant eux-mêmes, et ces abandons s’avèrent être les plus féconds pour la qualité de l’écriture. | | | | |
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| weil s. | | | Il ne faut pas pleurer pour ne pas être consolé. | | | | |
| | noblesse | | | Les larmes consolantes - quelle vision d'inconsolée ! Laisser quelqu'un inconsolable, puisque c'est la seule consolation qui lui reste ! | | | | |
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| proximité | | | Pour S.Weil, la pesanteur et la grâce s'excluent, pour Mandelstam - se complètent : « Vous renvoyez les mêmes signes, sœurs-jumelles, - la pesanteur, la grâce » - « Сёстры тяжесть и нежность ; одинаковы ваши приметы ». Elles sont parallèles, pour St-Augustin : « Ce que la pesanteur est au corps, la grâce l'est à l'âme » - « Quod enim est pondus in corporibus hoc est charitas in spiritibus ». | | | | |
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| proximité | | | Consentir à la distance (S.Weil) – une très belle attitude, comprenant et le sacrifice d’une volonté envahissante et la fidélité au rêve inaccessible. | | | | |
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| proximité | | | La foi, c’est l’écoute de mon âme, c’est la vénération émerveillée du miracle de la vie ; cette foi prodigue ma seule consolation crédible. En revanche, tout renvoi, par une raison dévoyée, aux promesses, aux preuves, aux croyances dogmatiques ne fait qu’étouffer ma sensibilité. La vraie consolation est le triomphe de l’âme sur la raison, le triomphe du Beau incompréhensible sur le Vrai bien compris. « La religion, en tant que source de consolation, est un obstacle à la véritable foi » - S.Weil. | | | | |
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| weil s. | | | Si on aime Dieu en pensant qu'il n'existe pas, il manifestera son existence. | | | | |
| | proximité | | | Exister, c'est se manifester aux sens ; aimer, c'est créer un sens nouveau. Le néant, qui se met à sentir, à toucher, à avoir du goût, c'est ça, Dieu ? | | | | |
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| weil s. | | | Un mode de purification : prier en pensant que Dieu n’existe pas. | | | | |
| | proximité | | | La prière est une flamme, et Dieu - son aliment pur, le souffle, pour que ton feu hors temps n'étouffe pas dans la fumée temporelle. | | | | |
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| weil s. | | | Écarter les croyances combleuses de vide, adoucisseuses des amertumes. | | | | |
| | proximité | | | L'intelligence qui, en déblayant, comble, par inadvertance, un vide mal balisé, se transmute en croyance. L'amertume n'a qu'à s'installer en désert, loin des chantiers de l'homme. | | | | |
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| russie | | | La perfection est attribut de la seule réalité, ne demandant à l'homme que l'immobilité, - d'où l'étrangeté de ce mot, qui ferait penser à l'action (par-fait), à la marche (voll-kommen), au rehaussement (со-верш-енный) « Aucune perfection imaginaire ne peut me tirer en haut » - S.Weil - la hauteur étant le don de voir dans le réel - le merveilleux. | | | | |
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| debray r. | | | De toutes les cultures européennes, la russe est la plus compulsivement mystique. | | |  | |
| | russie | | | L'Européen est si habitué à l'idée, que la logique et le sentiment s'expriment dans le même idiome, qu'il prend les débordements russes de sentiments lyriques pour le jaillissement de schémas mystiques. La Russie connut bien ses Maître Eckhart ou S.Weil, mais ils ne connurent jamais le retentissement des Dostoïevsky et Tolstoï, qui n'ont rien de mystique. | | | | |
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| solitude | | | On échoue à rendre un vrai état d'exil (Ovide, Pétrarque, Dante, Pouchkine, Dostoïevsky, H.Arendt, S.Zweig), on ne réussit qu'à en esquisser la pose (Sénèque, Casanova, Byron, Nietzsche, Kafka, S.Weil, Nabokov, Cioran). Et l'exil n'est pas le seul état d'âme, qui reste toujours à inventer, je soupçonne, que l'amour, la foi et la noblesse possèdent la même étrangeté. | | | | |
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| solitude | | | Que gagne celui qui est plus intelligent ? - une cellule plus vaste (S.Weil), un souterrain plus profond (Dostoïevsky), des ruines plus hautes (Cioran), un banc des accusés plus étroit. | | | | |
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| solitude | | | Ils ont raison : tout déracinement est barbare. Mais il nous donne une chance d'être libérés de la basse pesanteur ; aucun enracinement, en revanche, ne se fait dans la hauteur (quoiqu'en pense Platon) ; il se fait en étendue, pour ne pas dire - en platitude : « L'enracinement est le besoin le plus méconnu de l'âme » - S.Weil. Dans la dialectique de la croissance et de la pesanteur, Valéry voyait la grâce de l'arbre. | | | | |
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| solitude | | | Il est rare, qu'une simple négation de la bassesse me propulse vers la hauteur ; c'est bien naïf de croire que « la grandeur ne peut être que solitaire, obscure et sans écho » (S.Weil), puisque la netteté et le brouhaha s'associent aux foires actuelles ; la négation est un moyen mécanique, et l'exclusion organique se fait plutôt par contraintes que par moyens. | | | | |
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| weil s. | | | Il faut être dans un désert, car celui, qu'il faut aimer, est absent. | | | | |
| | solitude | | | C'est l'amour qui crée le désert. Se réfugier dans un désert sans amour, c'est subir le prurit des caravanes ou la sédentarité des oasis. | | | | |
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| souffrance | | | Le monolithe de la raison robotique phagocyta la science et l'art ; il ne reste au souffle de Dieu, pour atteindre nos âmes, qu'un seul trou (S.Weil) - la souffrance humaine. L'amour et la beauté y mesurent leur profondeur. « Dans l'art, la souffrance est la bienvenue » - Rostropovitch - « Страдание, в искусстве, - необходимо » - mais pour que la palette d'artiste soit complète, la félicité y est indispensable au même degré, elle y apporte la hauteur. | | | | |
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| souffrance | | | Dans l'état anesthésié, l'homme s'attache aux choses et aux règles et oublie la musique et l'élan. Dans la souffrance, l'homme retourne à son destin, qui est la tragédie comme l'est toute musique. « Toute douleur qui ne détache pas est de la douleur perdue » - S.Weil. Le nombre de nos points d'attache restant le même, il s'agit de s'attacher aux noyaux invisibles, aux rêves : « On meurt de l'essentiel, lorsqu'on se détache de tout » - Cioran. | | | | |
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| souffrance | | | Les sots et les philosophes protestent : je souffre et j'exulte, tandis que le scientifique exclut de sa vision toute sensibilité et ne sait pas ce qu'il fait. Tout savoir enrichit les vocabulaires et les syntaxes, même ceux des braiments, mais le savoir scientifique apprend mieux que les autres à maîtriser la plus belle des intonations, l'intonation ironique. Ah, si, en plus, le savant s'intéressait, comme jadis, à la tonalité mystique, pour produire de la musique tragique de la vie ! « Nous ne pouvons imaginer aujourd'hui, qu'un même homme soit un savant et un mystique »* - S.Weil. | | | | |
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| souffrance | | | Lycurgue, Empédocle et Socrate, Lucrèce, Sénèque et Cicéron, Chamfort et Kleist, Tchaïkovsky et Maïakovsky, Hemingway et S.Zweig, Tsvétaeva et S.Weil, Pavese et Celan - j'ai beau tourner et retourner cette liste de suicides, je n'y décèle aucune lignée héritable. Le pathos varié de l’avant-dernier pas ne se transmet pas au dernier, au commun : « Amour de l’agonie et horreur de la mort » - Cioran. | | | | |
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| weil s. | | | Ne pas chercher à ne pas souffrir, mais à ne pas être altéré par la souffrance. | | |   | |
| | souffrance | | | Veux-tu être altérée par le plaisir ? L'essentiel, c'est la pose ; tout ce qui sert à la maintenir en bonne hauteur, un délire ou un rire, est bon à prendre. Notre visible a beau être stoïque, notre vue est cynique. | | | | |
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| weil s. | | | Couper l'arbre et en faire une croix, et ensuite la porter tous les jours. | | | | |
| | souffrance | | | Les croix dressées avec la rigueur des racines ou avec la suavité des fleurs ? Pourquoi s'en prendre à l'arbre, pourquoi n'arracher que quelques épines ? Les vrais stigmates devraient être plus près de la tête que des extrémités, près d'une bouche assoiffée plutôt qu'avide, pour ne pas maudire l'arbre, qui n'apporte pas de fruits. | | | | |
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| weil s. | | | L'apparence colle à l'être et seule la douleur peut les arracher l'un à l'autre. | | | | |
| | souffrance | | | Dans la douleur s'élève l'apparence et chute l'être. Comme dans la misère s'approche l'essence et s'éloigne l'avoir. | | | | |
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| weil s. | | | Le plaisir est innocent, à condition qu'on n'y cherche pas la connaissance. Il n'est permis de la chercher que dans la souffrance. | | | | |
| | souffrance | | | La souffrance est aussi aveugle que le plaisir, mais son langage de requêtes comporte plus d'inconnues, ce qui promet des réponses plus riches. | | | | |
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| weil s. | | | Il faut avoir eu par la joie la révélation de la réalité pour trouver la réalité dans la souffrance. | | |  | |
| | souffrance | | | La joie nous ouvre des vocabulaires, la souffrance apprend à substituer aux mots - des inconnues, que sait combler la réalité polyglotte. | | | | |
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| vérité | | | S.Weil : « Le besoin de vérité est plus sacré qu’aucun autre » - y est bien bête. Oui, avec une représentation figée, le sacré, comme la vérité, sont ce qui n’admet pas de doute. Mais les langages et les représentations changent en permanence, et le véridique et l’idolâtre peuvent se séparer sans retour. Mais le plus important, c’est que la vérité est totalement dépourvu de l’essentiel du sacré – de la sensibilité du cœur et de l’élévation de l’âme. | | | | |
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| weil s. | | | Dès qu'on a pensé quelque chose, chercher en quel sens le contraire est vrai. | | |   | |
| | vérité | | | J'aurais toléré quelques délices en compagnie de la vérité conquise, avant de chercher le nouveau langage. Le sens contraire est bien une innovation langagière : syntaxique - des attouchements inattendus de vocables ; sémantique - des ressorts pressentis des rapports paradoxaux ; pragmatique - le libre arbitre des passions. | | | | |
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| weil s. | | | Aimer la vérité signifie supporter le vide. | | | | |
| | vérité | | | Qui s'ouvre après toute vérité féconde. Que d'autres prennent pour trop plein d'une nouvelle certitude. L'amour, c'est l'incertitude. | | | | |
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